Ayacucho, deux étoiles au Routard, nous dit Vianney.
Vianney, c’est un grimpeur hors pair du quatuor infernal qui nous accompagne
depuis notre sortie de La Paz. C’est aussi le type qui à tout moment, au détour
de n’importe quel lacet, peut te sortir
presque de mémoire les tirades magiques du petit guide et agrémenter nos
journées d’intermèdes culturels bien placés. Comme 2 étoiles c’est pas rien
d’après notre expert, nous partons essuyer notre sueur dans les étages d’une
petite auberge de cette jolie ville. Ayacucho est une réplique miniature de
Cuzco, une ville typiquement coloniale avec ses places fleuries, ses murs
blancs et ses balcons de bois, et sa célèbre statue du Général Sucre, l’homme
de l’indépendance. C’est aussi l’ancien QG du mouvement terroriste communiste
« le Sentier Lumineux » qui engagea une guerre civile dès les années
80 contre les forces au pouvoir qui fit plusieurs dizaines de milliers de
morts, notamment dans ces hostiles montagnes de la région de l’Apurimac, que
nous venons de traverser.
Nous profitons d’une journée de repos dans cette vallée à
2700 mètres avant de rejoindre la côte pacifique et la capitale Lima. Il nous
faut recouvrir nos forces car la suite n’est encore une fois que bien peu
reposante. Alors autant dire que nous mettons toutes les chances de notre coté
en improvisant un superbe petit déjeuner au soleil suivi de longues siestes et
promenades sur la Plaza de Armas. Cette
recette du repos réussie, nous commençons à la connaître par cœur, point par
point, afin de repartir le sourire aux lèvres affronter les derniers cols. Et cette fois, nous avons un maillot jaune
dans l’équipe, un vrai ! Vincent a fait l’acquisition d’un faux maillot de
foot du Brésil arborant fièrement le nom de Neymar. Le bonhomme compte bien en
impressionner plus d’un dans les premiers 25 km de côte qui nous mènent sous le
soleil à 4000 mètres au pied d’un bosquet d’eucalyptus. Finalement notre
Alberto Contador préfère vite lâcher le groupe des excités en tête et rejoindre
la voiture balai, à savoir le petit groupe composé de Ted Vianney et Côme qui
parasitent le porteur des petites enceintes portables, Alexis. On tente de
monter en rythme, gare à celui qui ira plus vite que la musique !
Notre maillot jaune en plein effort |
Ca redescend dans la vallée, ça remonte tranquillement, puis
retentissent les premières notes de la chanson 74-75 (The Connels), fin d’une
courte mais fatigante étape qui comptabilise presque autant de kilomètres. A
midi nous avons pris un moment pour nous arrêter manger une truite dans une échoppe
attenante à une petite pisciculture. Le repas, frugal et sans grand intérêt
restera sans doute un souvenir bien vague dans nos mémoires. Nous retiendrons
en revanche l’énorme truite maladroitement empaillée à l’entrée de la cabane,
dégageant une terrible odeur de renfermé et donnant aux lieux une froideur bien
inhospitalière.
hum coucou toi! |
C’est à Ninobamba que
nous atterrissons alors qu’un gros orage éclate. Les derniers reçoivent des
kilos de grêle et de pluie grasse sur les épaules alors qu’ils s’imaginent déjà
noyés dans leur profond sac de couchage. Au moment où la déferlante se fait la
plus forte, un petit groupe s’apprête à déclencher une avalanche d’insultes à
l’encontre de ce pays, ce climat qui nous pose sans arrêt ses pièges au moment
où nous les attendons le moins. C’est alors qu’Alex coupe court à nos élans de
rage par cette phrase foudroyante, une suite de mots si puissante qu’en une
seconde elle change le cours d’une journée :
-Les gars, à 20 mètres il y a des eaux thermales !
C’est ainsi que cette longue journée se termine à refaire le
match les jambes au chaud dans une eau fumante. La côte Pacifique se rapproche,
il nous reste un ultime col à franchir, le plus haut, le plus beau, avant de
redescendre pour de bon et quitter à jamais ces montagnes qui nous épuisent.
C’est le dernier alors nous grimpons avec le sourire, en douceur, afin d’en
apprécier chaque lacet, chaque courbe. Le compteur de Ted passe un moment la
barre des 4807 mètres, nous nous sentons
au dessus de tout, portés par l’envie d’en découdre. Au sommet les bords de la route sont par
endroits couverts de neige. La végétation a disparue, les sommets autour de
nous sont nus, le paysage est minéral. Même si le mal de l’altitude nous a
quitté depuis quelques temps, nous retrouvons un petit mal de crâne désagréable.
El Ultimo ! |
Puis la route redescend quelques temps avant de remonter, cette fois pour la
dernière fois jusqu’au village de San Felipe a 4600 mètres, sans doute l’un des
villages les plus élevés des Andes. L’épicier du village trouve un moyen de
nous ouvrir une salle municipale pour passer la nuit. Puis nous sommes invités
à disputer un match de foot contre une bande de Ronaldos du dimanche sur un
terrain construit au bord du vide. C’est extrêmement pratique, lorsque la balle
sort du terrain, il faut se faire deux jours d’ascension pour récupérer le
ballon. Logique ! Cette fois ci c’est moins difficile, malgré l’altitude
qui nous essouffle au moindre mouvement nous réussissons à arracher une
victoire. Il faut dire qu’en face on a affaire à des rigolos. Des gars comme
Manuel qui jouent au foot avec des fausses santiagues et un sac à dos sur les
épaules. Avec des pompes pointues comme ça, il ne faut pas s’étonner que chaque
frappe termine au fond de la vallée. Chez nous seuls 4 joueurs ont répondu à
l’appel du ballon rond (Quentin, Alex, Vincent et Côme). Alors ils nous
proposent les services de Lucio. Lucio, c’est le cuisinier du village. Autant
vous dire qu’il est plus habile avec des marmites qu’avec une balle au pied.
Mais on l’aime bien Lucio, il passe son temps à se marrer. Par contre quand il
s’agit de revenir en défense, il n’y a plus personne ! Un moment la balle
tombe dans les toilettes. Dans les TOILETTES ? Oui, encore une fois en
toute logique ils ont construit un petit abri en taule avec un petit siège au
dessus d’un grand trou dans la terre, et ce juste sur la touche ! Du coup
la balle finit dans le trou.
-
Agua, no mas ! disent-ils ( « ce n’est
que de l’eau »)
Tu parles, la balle empeste une terrible odeur mais notre
équipe adverse continue de faire des têtes, contrôles de la poitrine, en toute
sérénité. Lucio nous le retrouvons le
soir dans sa cuisine glaciale où il nous apporte une belle souplette et nous
passe un film sur le carnaval de la région. La nuit est froide, nous avons
peine à trouver un sommeil profond, sauf Côme, encore une fois, il faut pas le
prier celui-là pour dormir.
Juste avant la descente de la mort |
A san Felipe, "venez comme vous êtes" |
Peu importe, l’étape du lendemain sera la plus belle. L’ultime
descente de la Cordillère des Andes, le retour sur le plancher des vaches. Cela
fait plus de 2 mois que nous sommes en altitude. Cette fois-ci nous ne pourrons
pas descendre plus bas, arrêtés par le Pacifique. Nous entamons cette journée
sur un altiplano pendant 30 km sous un ciel étrangement bleu, comme si les
Andes voulaient se faire pardonner et nous tirer leur chapeau de nuages avant
que nous les quittions. Quelques vigognes font leur apparition. Nous ne les
avions pas vues depuis l’entrée au Pérou. Tout est là, il n’y a plus qu’à
descendre. Au kilomètre 150, la route dépasse une dernière crête puis s’enfonce
enfin dans une profonde vallée. Imaginez cette petite descente que vous prenez
parfois à vélo, celle qui part du centre-ville et qui vous amène chez vous 100
mètres plus loin. Elle est toujours sympa cette petite pente, elle vous procure
de bonnes sensations. Imaginez maintenant la même descente, 1500 fois plus
longue, dans un paysage 1500 fois plus majestueux. C’est parti pour 150 km de
descente jusqu’à l’océan !
Les vigognes, les lamas sauvages des Andes |
Le rêve de n’importe quel cycliste, la
récompense suprême à ces mois d’efforts. Nous sommes euphoriques, incapables de
retenir les sourires béats qui déchirent nos lèvres gercées à chaque virage.
Notre MP3 est branché sur nos chansons préférées ou sur nos podcasts historiques
d’Europe 1. Franck Ferrand nous raconte Napoléon faisant machine arrière dans
les froides plaines de Russie alors que nous partons tête baissée à la conquête
de la douceur océane. La première moitié de la descente est une drogue, nous en
redemandons, nous pourrions y passer une vie. Puis la pente se fait plus douce
et un vent de face puissant nous ralentit considérablement. La frustration est
grande mais nous parvenons tout de même sans trop d’effort à boucler une étape
de 190 km. Nous terminons au coucher du soleil, trouvant logis à l’étage d’une
polleria de San Clemente (un vendeur de poulet frite !). Sur la fin de l’étape
nous découvrons notre nouveau territoire. Des champs de coton, des vignes, des
bananiers et des gens en t-shirt qui jouent sur les bords de route à la tombée
de la nuit. Par moment cette lumière rose orange, cette animation sur la route
nous rappelle des arrivées Mozambicaines. Nous partons rapidement au marché
draguer les vendeuses de salchipapas (saucisses frites) pour qu’elles nous
servent des portions copieuses puis nous retrouvons nos copains les moustiques
et nous endormons au son de leur bourdonnement. C’est fou ce qu’ils ne nous
avaient pas manqué !
Teddy Ted, l'Audi TT. Dernier visu des courbes avant la descente |
Deux jours et demi nous séparent de Lima, notre étape
finale, mais un dernier obstacle se dresse devant nous : La Panamericaine.
La Panam’ dirons-nous. La Panam c’est cette route mythique qui traverse toute l’Amérique
pour relier Santiago de Chile à San
Francisco. C’est aussi et surtout une route dangereuse et drôlement encombrée,
pratiquement une autoroute. C’est le seul moyen d’entrer dans Lima. Mais c’est
230 km sur la bande d’arrêt d’urgence, les yeux rivés sur notre rétroviseur.
Que nos mamans se rassurent, nous prenons toutes les précautions pour que rien
ne nous arrive. Nous roulons beaucoup en file indienne et restons bien
vigilants à chaque fois qu’un gros camion nous double à toute vitesse. Nous
traversons une région complètement déserte. La route est entourée de hautes
dunes de sables bordant l’océan Pacifique. Pas un brin d’herbe ne pousse sous
cette chaleur et dans ce sable. Nous nous arrêtons sur une plage pour gouter à cet
océan qui à l’horizon nous laisse deviner notre prochaine étape Asiatique. De
grosse vagues éclatent sur le sable, des pélicans au long bec se gavent dans
les bancs de poissons, cette fois c’est sûr, nous somme biens redescendus. Même
l’altimètre n’arrive pas à le réaliser.
Oui on est toujours au Pérou |
Nous passons une première nuit dans la caserne de pompiers
de Saint Vincent des Canettes (San Vicente de los Canetes en réalité, traduit
en Français parce que ça sonne bien bords de mer) avant de reprendre la super
panam’ sous un soleil de plomb qui nous fait transpirer du sel. Nous roulons
100 km assez monotones, obligés de rouler en file indienne, sans un mot. Il est
temps d’arriver. Nous choisissons pour passer notre dernière nuit le village de
San Bartolo au bord de l’océan ou le gardien du collège nous ouvre une salle de
classe. Nous assistons à un tournoi de foot régional sur le terrain municipal.
Tout le village est réuni pour l’événement, et mine de rien ça joue drôlement
bien. Rien à voir avec notre Lucio des familles. Les matchs sont d’une
intensité remarquable. Ça s’échauffe, le ton monte. Une main sort de la masse.
L’arbitre a rendu son verdict : carton rouge pour l’assassin qui a découpé
littéralement le joueur sur lequel nous avions placé toutes nos billes. Mais l’animal
ne veut pas sortir, il faut faire rentrer les vigiles pour qu’il quitte le
terrain.
Le grand jour arrive. C’est pas la joie pour tout le monde,
Quent et Alexis ont été malades toute la nuit. Nous ça va. Nous sommes prêts à
entrer en ville par la voie la plus encombrée d’Amérique du Sud, derrière les
pots d’échappement des camions. Ca klaxonne dans tous les sens. Nous essayons
de nous faire tout petits, pas trop non plus, ils faut être vus. Nous arrivons
à l’heure du déjeuner dans le parc Kennedy du quartier de Miraflores. A l’ombre
des palmiers nous savourons de le retour bien attendus du Mcdonnald.
Un chauffard sur la Panam' |
LOL |
- Messieurs, il est interdit de vous avachir comme
des clochards avec un Mcdo sur les
pelouses du parc. Et veuillez retirer vos vélos aussi. Nous disent deux jeunes
gardiennes.
- Mesdemoiselles soyez gentilles, nous venons de
très loin J ;
Et nos vélos n’ont plus de béquilles !
Quelques sourires bien placés, nous séduisons nos petites
gendarmettes et tout se termine bien. Ah l’autorité péruvienne ! Vincent
prétend même les avoir vues nous adresser quelques clins d’œil en repassant
devant nous.. Entre temps nous avons fait une rencontre bien improbable. Une
française d’à peu près notre âge s’approche de Vincent.
-
Vous êtes de la Grande Echappée ??
-
Euh, oui pourquoi ?
-
Je suis votre plus grande fan ! Vous ne me
connaissez sans doute pas, je suis tombée sur votre blog par hasard, depuis je
suis chaque post avec attention ! Comment va Côme depuis sa malaria ?
Sacrée Mélanie ! Elle nous aura bien fait rire.
Un Mcdo plus tard donc, nous descendons l’avenue Larco et
nous dirigeons vers le Malecon, le front de mer où nous attendent Florence et
Alizée, les deux anciennes colloc de Côme à Paris qui sont ici pour 6 mois dans
une ONG . L’accueil est digne d’une arrivée d’étape de Tour de France. Nos deux
belles blondinettes nous sautent au cou et nous couvrent de colliers de fleurs
et de chapeaux à paillettes.
Quatre cyclodos à Miraflores |
Qui aurait pu rêver meilleur accueil? |
Nous dégustons leur gâteau au chocolat sur la
pelouse et les suivons jusqu’à la calle Esperanza et leur appartement ou nous
découvrons Pepe, Freddy, Navarro et Nela, les collocs des filles. L’appartement
se transforme vite en camp de réfugiés, nous nous entassons à 7 dans une
chambre vide. La laverie tourne à plein régime, le fond de la douche se couvre
de tout un tas de choses mystérieuses, l’oxygène se fait rare. Nous avons du
mal à nous faire transparents. Les filles nous font découvrir la vie nocturne
de Lima, les différents quartiers et les petits recoins de Miraflores. Nous
prévoyons une session surf au pied de buildings de la capitale et le weekend
nous partons dans le désert avec les collocs et une bande d’étudiants dans une
Oasis au cœur du désert. Quelques palmiers, un petit lac d’eau douce, notre
auberge, une piscine. C’est décidément bien les vacances. Un gros buggy bien
américain nous emène à 100 à l’heure dans les dunes où nous nous essayons au
Sandboard. Pas facile lorsque les types nous filent en guise de planche des
bâtons d’esquimo à grande échelle. Nous finissons surtout avec du sable plein
le slip !
Dans les dunes de Huacachina |
Et bim,sans tire-fesses ! |
Nous aussi on s'est bien marré quand elle a fini la trogne dans le sable |
Puis le soir venu, c’est samedi soir alors c’est fiesta dans une
boite au milieu de l’oasis. La transition avec notre vie dans les petits
villages des Andes est assez brutale. Si brutale que Ted ne voit pas l’intérêt
de mettre des chaussures pour sortir en boite. Côme, lui, semble aimer
tellement le Coca qu’il se réveille le lendemain tout étourdi avec une seule
chaussure à son pied.. « La flemme d’enlever l’autre » ,dira-t-il..
La fin d’un chapitre approche. Un autre ne va pas tarder à s’ouvrir.
Nous démarchons les magasins de vélo pour dégoter des cartons pour les
embarquer dans l’avion. La prochaine fois que nous ferons du vélo sera sur le
sol vietnamien ! D’ici là nous devrons endurer 3 jours d’avion entre Lima,
Miami, New York, Vancouver, Hong Kong… et enfin Ho Chi Minh ! Un voyage
interminable duquel nous espérons que nos montures sortirons vivantes, nous
aussi tant qu’à faire, on sait ne sait pas où terminent les avions qui
survolent l’Asie du Sud Est en ce moment…
A Ho Chi Minh, nous auront la visite des parents et de la
petite soeurette de Côme ainsi que de la bienaimée d’Alex. La tête dans les
rizières, nous rêvons déjà des pistes oranges, des soupes de nouilles de nos
hôtes aux chapeaux pointus et du retour à trois dans des lieux qui sonnent déja
comme des victoires d’étape..Angkor, Siem Reap, Phnom Penh, les 4000 îles,
Bangkok…
Prochain post à la reprise du vélo dans un peu plus de 15
jours. D’ici là nous posterons dans l’onglet VIDEOS un nouveau montage sur nos
aventures en Bolivie et au Pérou !
Ah, la Grande Echappée..! Vous nous avez donné des émotions, sur ces routes qui avaient un goût de Mont Blanc. Mais a vouloir aller plus vite que le son vous risquiez de vous briser la nuque! Heureusement des étapes sympathiques vous ont permis d'accoster des vendeuse pétillantes qui vous proposent des fripes (notamment le fameux maillot jaune de Vincent..).
RépondreSupprimerBiz, tonton Pierre
PS: je me suis lâché, car j'avais pris un peu de retard...