Uyuni-La Paz : La Grande Eclopée

Ce titre évocateur n’a rien d’innocent. Ces derniers jours ne furent pas de tout repos pour un trio à triste mine et dont la vitesse moyenne approche celle de nos escargots de Bourgogne. Commençons par les réjouissances. Nous sommes à Uyuni, petite annexe du parc Disneyland Paris perchée à 3600 mètres sur l’Altiplano bolivien. A peine arrivés nous tombons par hasard sur Alexis, Vianney et Quentin, trois copains de l’ESCP qui voyagent à vélo en Amérique du Sud, trois échappés comme nous en quelque sorte. Ils repartent le lendemain, nous aurons à peine le temps de trinquer autour d’une bière. A Uyuni s’étend le désormais bien connu Salar (entendez désert de sel), une merveille de la nature que nous pensions traverser à vélo. Malheureusement à cette époque de l’année, ce petit lopin de lune (la taille d’une région française tout de même) est recouvert d’une fine couche d’eau qui rend toute traversée suicidaire pour nos vélos. Nous prenons donc place dans un 4*4 comme tout le monde avec un guide Bolivien, dont le nom nous échappe aujourd’hui. Appelons le « Youni » pour la bonne conduite du récit. Youni commence par nous emmener, nous, un autre français (Martin), et trois coréen(e)s , sur le site d’un cimetière de trains en plein désert avant de filer droit vers l’immensité blanche du Salar. A mesure que nous progressons au milieu de ce no man’s land, l’horizon disparait dans une lumière diaphane. L’eau recouvrant légèrement le sel immaculé, le reflet du ciel se fait de plus en plus parfait, au point qu’arrivés au cœur du Salar d’Uyuni, il devient presque difficile de distinguer ciel et terre. Au loin, quelques autres 4*4 passent en volant entre des montagnes aériennes qui font penser au décor d’Avatar. Nous profitons de l’incroyable perspective qu’offre l’endroit pour réaliser quelques photos rigolotes. 




L’excursion dure presque une journée. Une journée à faire les guignols dans le sel, à cramer nos yeux et notre peau sous ce soleil qui se réfléchit dans le miroir salé, puis nous rentrons. La route est bosselée et boueuse, et nous sommes mine de rien assez fatigués. Alors forcément , sur le trajet du retour :
-Bon, on en est où Youni ? J
A l’arrivée nous sommes cuits et rentrons nous laver, les yeux encore éblouis par ce merveilleux miroir géant. Et puis nous sommes contents ; paradoxalement l’addition ne s’est pas révélée trop salée ! (celle-là aussi il fallait que je la fasse) Le lendemain il semble que nous soyons prêts pour refaire du vélo. 10 km se passent, nous montons un petit col, puis arrivés en haut, Vincent et Côme sont arrêtés par une voiture.
-les gars votre pote il va pas bien là, allez voir.
Effectivement, deux lacets plus bas, Alex est avachi sur le bord de la route, pris de fièvre et de maux de ventre. Faux départ ! Terminus tout le monde descend ! On plie boutique et on repart à Uyuni. Alex peut se reposer et retrouver des forces au son des savantes paroles proférées par sa douce au téléphone. Nous repartons le lendemain, il va mieux et nous pouvons rejoindre Tica Tica, à 80 km plus au Nord.  Autant dire que ce petit village n’a rien à nous raconter. (On espère que Titicaca sera mieux). Il pleut, il fait froid, une petite fille tente de voler la canne à pêche de Côme (si elle savait à quoi elle se risquait la pauvre gamine), nous campons sur la place du village et pour clôturer les réjouissances, Vincent tombe à son tour malade . Les mêmes maux de tête, un peu de fièvre et des intestins qui jouent à la marelle !

Des copains Colombiens drôlement motorisés en haut d'un col

Les mêmes maux de tête, un peu de fièvre et des intestins qui jouent à la marelle ! Les deux étapes suivantes sont difficiles. Nous montons, redescendons à 3500, remontons à 4200 plusieurs fois dans la journée, nous sommes surpris par un violent orage et Vincent a le moral dans les chaussettes ; ce qui soit dit en passant est bien injuste car il est le seul à n’en pas porter ! Alors nous luttons en silence jusqu’à Castillas où nous nous réchauffons pour la nuit dans l’arrière salle d’une « pension » à l’entrée du village. Nous arrivons refroidis et bien radins en sourires. Pourtant nous venons de traverser l’une des plus belles routes depuis notre entrée en Bolivie. La petite route escarpée sillonne à flanc de montagne dans un paysage à couper le souffle. Au-dessus de nous des pâturages verdoyants offrent aux troupeaux de lamas une vie rêvée. Plus bas, la montagne semble s’ouvrir en de profonds canyons aux parois oranges, au loin quelques sommets enneigés défient les lois de la pesanteur et de temps à autre autour de nous s’approchent les curieuses vigognes, ces lamas sauvages, à cheval entre la biche et le lama. Mais la beauté ne s’apprécie qu’avec le sourire, aujourd’hui nous ne sommes pas les meilleurs spectateurs. Pour vous donner une idée, essayez d’aller voir un musée alors que vous venez de vous faire larguer..

Ajouter une légende


Alors en arrivant, Vincent va se coucher, enroulé comme une empanada dans des kilomètres d’épaisseur de couverture et Alex  et Côme récupèrent doucement autour d’un repas chaud. Les deux gamins de la propriétaire gueulent, la fille pleure pendant une demi-heure, on a vu journée plus joyeuse. Deux petits chatons viennent tout de même se blottir contre nous au moment d’aller se coucher. Le rayon de soleil ? Ne faisons pas de superstitions, ça porte malheur..
Le lendemain, Vincent n’a pas retrouvé toutes ses forces mais Alex va beaucoup mieux et Côme est en forme (passé au travers du filet cette fois-ci). Il nous en faut de la forme car l’étape est courte jusqu’à Potosi mais encore une fois bien vallonnée. 2 côtes au total, nous dit-on. Parole de Bolivien, attention l’arnaque n’est jamais loin. Alors en effet nous franchissons deux cols, dont un sous la pluie, avant d’arriver plus ou moins à Potosi. Mais la ville la plus haute du monde est un mur, et s’étale sur plusieurs kilomètres. Alors nous grimpons encore avant d’arriver dans le centre. Sur le chemin les gamins nous arrosent, d’autres tentent de nous bombarder de mousse à raser. Nous avançons, n’y prêtant que peu d’attention. Mais arrivés sur la place centrale, nous sommes cette fois assaillis par une nuée d’enfants qui nous recouvrent de la tête au pied de mousse, nous éclatent des bombes à eau au visage, c’est une policière qui finit par aider Côme à s’en sortir. Nous apprenons ensuite que c’est aujourd’hui le Carnaval des mineurs de Potosi, la ville entière est en effervescence et personne n’est sorti sans un imperméable et sa bombe de mousse…sauf nous !
Nous partons nous réfugier dans une chambre d’un Hostal bon marché, la Compania de Jesus, un ancien couvent, semble-t-il. Le lendemain c’est à nouveau repos. Vincent doit reprendre des forces et nous ne pouvons quitter Potosi sans avoir exploré ses mines. Nous partons à 9 heures nous équiper. Notre guide nous prête des bottes, une combinaison, un casque et une frontale et nous voilà partis, à 4300 mètres d’altitude, au cœur d’un labyrinthe de tunnels d’1,50 mètre de hauteur de plafond. 

l'entrée de la mine, sur les hauteurs de Potosi

Le sol est humide, parfois trempé, les parois recouvertes d’oxyde de cuivre aux teintes vertes et le plafond semble tenir par miracle, soutenu par des poutres d’eucalyptus disposées de façon aléatoire. Notre guide n’a rien d’une professionnelle, mais du moment qu’elle nous sort d’ici, tout va bien. Sous cette montagne, 15000 mineurs se relaient par petits groupes de travail, cassant minutieusement la roche, explosant certaines parois à la dynamite pour en extraire le précieux minerai, un alliage de zinc et d’argent qu’ils vendent brut à des exploitants. Il y a très peu de mineurs ce jour-là dans les tunnels, la plupart récupèrent de ce carnaval arrosé qu’ils avaient attendu depuis un an.

Ca va, on sait que t'as les mêmes dans tes toilettes!


 Mais le peu que nous voyons fait peine à voir. La guide nous emmène dans les profondeurs de la montagne pour les voir, là où l’air est le plus rare, le plus toxique, là où il faut passer 7 heures par jour le dos courbé et les yeux dans la poussière et les éclats de roches. Nous nous nous sentons mal, révoltés contre ce travail d’animaux, pas à notre place, gênés de notre situation confortable. Sans scrupule, la guide nous indique que la durée de vie des mineurs excède rarement les 45 ans. Nous rencontrons Don Mario, un ancien de la mine.
-          Vous avez quel âge ?
-          46 ans. Nous répond-il..
Nous en avons assez et sentons vite que nous n’avons rien à faire là. Nous revenons donc quelques siècles en avant et sortons de cette mine. L’expérience vaut certainement le détour, mais nous en sortons un peu secoués, et certainement aussi déçus par la nullité extrême de notre guide. 


Heureusement ce soir-là nous somme rejoints  par Quentin, un bon copain de l’ESCP qui voyage en Bolivie. Il nous raconte ses aventures, nous dit qu’il lit notre blog régulièrement (« l’invitation au voyage, une note d’humour, j’aime bien », seront ses paroles). Alex et Vincent partent se coucher, et Côme par en ville boire quelques bières, trop heureux de retrouver son grand pote.

Ce cher Quentin, dans une rue de Potosi

 Le lendemain Vincent va mieux il retrouve l’envie de faire du vélo et d’affronter les prochains cols. Nous pouvons repartir pleins de ressources en direction de la Paz. Les trois premiers jours sont les plus durs. Nous imaginons la première étape plus facile, étant donné la hauteur de laquelle nous partons. Mais en réalité en 20 minutes nous redescendons bien bas. Il faut remonter, puis redescendre. Le premier soir nous sommes rattrapés par la nuit et le froid dans une côte. Nous décidons de passer la nuit au bord de la route où vit une modeste famille qui nous ouvre une petite pièce à peu près isolée du froid pour dormir. Les deux enfants sont ravis, ils nous posent des tas de questions, jouent avec nos vélos, avec le klaxon d’Alex, s’étonnent de voir notre réchaud s’enflammer. Le matin nous les accompagnons sur le chemin de l’école où ils se rendent à pied, un peu plus loin sur la route. Ils courent après nos vélos, jamais essoufflés, alors que nous repartons dans la pente.

Pause déjeuner, sous la pluie, on bricole un abri

voila pourquoi on avance pas dans les montagnes

 A midi nous profitons du passage dans un petit village pour manger un bon morceau de poulet, du riz et une soupe chaude. A la télé, il y a même un match de Champions League en direct de l’Europe, au diable la sieste ! L’après-midi est cette fois-ci ensoleillée, les crêtes rocheuses prennent des couleurs magnifiques sous la lumière baissante du soleil et une dernière grimpe à 4400 nous offre un panorama grandiose sur des kilomètres de vallées vertes et de sommets aux pointes blanches. Puis nous redescendons à la nuit tombée. Mais la roue de Côme crève, et Alex, 100 mètres devant ne l’a pas vu s’arrêter et malheureusement c’est lui le responsable rustines/chambres à air.  Alors les derniers 6 km se feront à pied pour le pauvre Côme qui en arrivant lâche un :
-C’est quand même bien mieux la marche J  … (Encourageant pour la suite du voyage)

Bah souris champion!


Ce soir-là, à Thola Palca, l’unique professeur du village nous ouvre une salle de classe pour passer la nuit. Nous avons une table pour diner, de l’électricité et il fait nettement moins froid que dehors. Et la nouvelle du jour est de taille ! Dès demain nous quittons les montagnes jusqu’à la Paz, et rejoignons l’Altiplano ! Nous sommes regonflés à bloc, excités comme des enfants d’en finir avec ces côtes. Mais la roue de Côme, elle, a du mal à bien se regonfler, notre pompe semble hors service et sa roue frotte son axe. Tant pis, nous partons. Les 30 premiers kilomètres pour Vincent et Alex sont une douce et longue descente, un régal. Pour Côme c’est comme une lente montée sur le premier plateau avec un pneu à plat. Frustration ultime, c’est comme jouer au babyfoot avec une balle carrée !  Finalement nous décidons d’arrêter une voiture. Côme accroche son vélo sur le toit et part rejoindre le prochain village à 30 bornes en attendant les deux autres. Par chance nous trouvons un mécano qui nous remet la roue en place et regonfle le pneu. Sans doute pas l’inventeur de la poudre mais un génie pour nous. L’énergumène nous a tout de même demandé si le drapeau avec notre logo était le drapeau argentin…
Cette fois tout est en place, nous avons quitté l’hyperaltitude et le plafond des lamas pour le plancher des vaches. Nous renouons avec l’agriculture. C’est la fin des cultures extensives des graines de riendutout, le début des champs de quinoa aux couleurs de feu au pied des montagnes toujours si vertes. La route est nettement moins déserte et traverse régulièrement de petits villages, des fermes, des églises. Nous ne sommes plus seuls. 

Un champ de Quinoa les pieds dans l'eau d'un petit lac


Nous passons de petites villes aux noms poétiques comme la ville de Poopo qui n’a pas le moindre charme mais n’est pas sans nous rappeler le carnaval intestinal qui a eu lieu quelques kilomètres plus haut. Très vite nous sentons la capitale approcher. La route s’élargit, le paysage s’enlaidit et les villages se font de plus en plus rapprochés. Mais nous savourons tout de même le retour du plat et recommençons à boucler des étapes de plus de 80 km. Les trois derniers jours sont assez monotones sur une affreuse route en travaux traversée à toute allure par les poids lourds et les bus qui parfois nous obligent à faire des écarts. Nous le savons, l’approche des grandes villes n’est jamais très joyeuse. Alors pour nous consoler nous forçons le destin et décidons un soir de camper dans la pampa au milieu d’un troupeau de vaches en apparence amicales. La soirée se passe bien, c’est au matin que nous découvrons hors de nos tentes qu’elles nous ont volé notre petit déjeuner ! C’est tout de même vache ! En revanche l’une d’entre elles a eu la lumineuse idée de faire notre vaisselle de la veille  en léchant minutieusement toutes nos assiettes (vachement plus sympa). 

retour sur le plat de l'Altiplano andin

Un beau bivouac, on va pas se le cacher

Puis nous arrivons enfin aux portes de la capitale, cette ville si haute perchée au nord de notre carte de la Bolivie, cette ville dont nous rêvions. La Paz c’est pour nous quelques jours de repos, la route de la mort, un sommet mythique à 6088 mètres mais aussi la très prochaine entrée au Pérou. Mais tout ça on vous le raconte la prochaine fois. Nous arrivons par l’infinie banlieue de El Alto, à presque 4000 mètres de hauteur sur un haut plateau entouré de sommets enneigés. Nous ne voyons pas la fin de cette immense avenue, bloquée par moments par des manifestations qui nous obligent à faire des détours. Puis soudain sur notre droite, la route tourne et semble buter contre du vide. Nous nous approchons. Là, par une pente abrupte, presque une falaise, le plateau s’ouvre en un gigantesque trou  au pied de la Montagne. 400 mètres plus bas, au fond de ce trou, nous apercevons des immeubles et de grandes avenues, bienvenus à La Paz ! Sur ses flancs presque à la verticale, des milliers de petites maisons s’amoncèlent, en équilibre sur des pentes escarpées. Nous n’en croyons pas nos yeux. Le spectacle, vu d’en haut, nous rappelle les mots d’un célèbre personnage de roman, nous pensons alors très fort : « A nous deux, La Paz ! »


Vivement le prochain article



Salta-Uyuni : Sur la terrible route du Dakar

Nous voilà donc à Salta où nous avons décidé de marquer le coup et de prendre 2 jours de repos. 2000km en moins de 3 semaines ça fatigue et ça se fête. Le samedi soir, après une petite douche réparatrice dans l’auberge de jeunesse où nous avons élu domicile, nous prenons vite les choses en main pour passer une bonne soirée ! Un saut au supermarché, une petite dizaine de litres  de bière et 1 kilo 500 de viande à faire griller à la parilla. Toutefois, dans ce pays, pouvoir disposer du barbecue commun d’une auberge demande beaucoup de patience. Trois Argentins nous ont devancés et là, autant vous dire qu’il a fallu attendre. Ici le barbecue est une tradition, bien plus : une institution ! Il faut faire chauffer les braises pendant une bonne heure ! Pourquoi donc ? Pour bien saisir la viande certainement ? C’est ce que nous pensions. Pas du tout ! Au moment crucial de mettre la viande sur la grille brulante, nos professionnels de l’asado (barbecue en espagnol) jugent bon de relever la grille 1 bon  mètre au-dessus du feu. Certes, on en rajoute un peu mais leur cuisson ultra lente nous a un peu rendus fous : « Mais ça va être trop cuit là les gars !» C’était limite plus long qu’un méchoui et  il était bien 1h du matin qu’en nous avons enfin pu cuire et déguster nos bons steaks : saignants, à la française, bien entendu. Ouah ! Les quelques bières ingurgitées pour patienter magnifient cette expérience gustative ! Tellement que le lendemain soir et le surlendemain soir, nous répèterons l’opération ! De quoi faire le plein de protéine et profiter un peu des richesses du pays. Ça change des knakis dans les sandwichs. La soirée bat son plein et nous rencontrons des suisses, des allemands et bien entendu, des français. Le lendemain, nous émergeons difficilement vers 15h. C’est l’heure des réparations diverses, de l’envoi de cartes postales, de la publication du blog et des lessives… En parlant de lessive, un petit coup de savonnette sur nos vêtements n’est point du luxe : Dans le dortoir, un de nos colocataires sort son déodorant Axe et asperge généreusement nos sacoches. Euh…Comment doit-on le prendre ? Ce n’est pas très sympa mais c’est compréhensible. Le lundi est plus actif et nous profitons enfin de cette belle ville surnommée Salta la Linda. Sa plaza 9 de Julio et ses spectacles de rue, sa cathédrale néobaroque de toute beauté, ses petites ruelles, ses squares et son Cerro San Bernardo, une montagne dominant la ville que seul l’un de nous a eu le courage d’escalader. « Les  jours de repos, ça n’est pas fait pour se coltiner 1500 marches d’escalier à grimper » estiment les deux autres. Lundi soir, il est temps de remballer nos petites affaires. Malheureusement, le short Dakine de Vincent manque à l’appel (tout comme deux de ses supers t-shirts anti-transpirants kalenji). Et ce short, c’est un peu l’élément le plus important de notre garde-robe. On le met tous les jours et on ne le lave que tous les 3 semaines (berck). Autant vous dire que Vincent reprend la route assez énervé,  jurant de bien ouvrir l’œil sur la route les jours suivants au cas où le voleur serait encore dans les parages. « Vincent, si tu veux je te prête mon super cuissard » lance Côme pour essayer de détendre l’atmosphère.



Mardi, nous reprenons la route vers le Nord. Nous grimpons à quelques 2000 mètres avant de profiter d’une descente magnifique dans une végétation tropicale. Il paraitrait même que les chanceux peuvent y apercevoir des Jaguars. Bin nous on a vu des vaches, des cochons et des ânes et c’est déjà pas mal ! Nous faisons la pause déj  au Yachting club de Jujuy. L’endroit ne porte d’ailleurs pas très bien son nom. Il y a bien un lac mais pas de bateaux. Nous notons simplement la présence d’un kéké qui est venu essayer sa nouvelle moto cross ainsi qu’un groupe de petits caniches teigneux qui perturbent sérieusement notre sieste journalière. L’un deux a même marqué son territoire sur une sacoche d’Alex. Pendant qu’Alex qui manque de sommeil grogne : « je te jure je vais lui mettre un coup d’opinel », Vincent et Côme font un plouf dans la piscine. Quelques dizaines de km plus tard, nous arrivons sur la place centrale de Jujuy, capitale de la région. Des hauts parleurs diffusent la messe en Espagnol tandis qu’Alex jure et répare son pneu qui a encore crevé. Ce n’était pas sa journée. Ce n’est d’ailleurs la journée de personne. Le soir il se met à pleuvoir abondamment sur le village de Reyes où nous faisons escale après plusieurs km roulés de nuit. Ce soir-là, l’essorage de pates se révèle bien inutile et ce sont bien des coquillettes à l’eau que nous dégustons (photo à l’appui).

Soupe à la grimace, nouvelle recette !


Le lendemain, le réveil est un peu humide. Heureusement, nous nous réchauffons bien vite avec une nouvelle ascension. Figurez-vous qu’il y a pas mal de montagnes dans la région !  Arrivés au sommet, nous faisons une pause et nous retrouvons des françaises rencontrées à l’auberge de jeunesse. Elles ont loué une voiture et vont un peu plus vite que nous. Elles nous offrent quelques gorgées d’eau fraiche, un luxe que l’on a du mal à avoir sur nos bicyclettes. Une petite descente plus loin nous arrivons au village de Volcan (aaah c’est pour ça la chaleur !) puis à Tumaya où nous retrouvons  le plaisir d’une pause dej très paisible et réparatrice.

Maman, ferme les yeux !


L’après-midi, la route est grandiose, nous alternons montées et descentes dans une vallée fertile entourée de montagnes rocailleuses. Le soir, arrivés au village touristique de Tilcara, comme à notre habitude, nous demandons à crécher chez les pompiers volontaires de la ville. Ici, cela se résume à un petit local donnant sur un petit square et à un unique pompier qui nous demande une compensation pécuniaire de 10 pesos par personne. Ah ! Payer : on n’est pas habitué ! En même temps, il s’agit d’un lieu touristique plein d’auberges de jeunesse et d’hostales. Notre Bombero a bien compris qu’il y avait un business à développer. On s’en sort avec 20 pesos pour trois. 20 minutes plus tard débarquent trois roots argentins, bien plus roots que nous d’ailleurs. Eux aussi connaissent les bons plans de grosses pinces (ou de fauchés, c’est selon)  et ils viennent demander logis chez les pompiers. Même tarif ! Notre aubergiste est assez étonnant, la bouche pleine de feuilles de coca, on ne comprend pas bien ce qu’il baragouine. D’ailleurs, en plus d’altérer sa diction, ces feuilles affectent également ses fonctions cognitives : lorsque qu’une collègue débarque, voulant masquer le petit business « d’hôtellerie »  non déclaré, il juge tout à fait crédible de dire que nous sommes des pompiers venus d’Équateur et qu’il nous accueille par solidarité. Mais bien sûr !  C’est sur on a vraiment la tête (et l’accent) de l’emploi. Nous avons bien rigolé, sa collègue également !

"le monde entier, est un cactus"


Jeudi matin, nous partageons un café avec nos compagnons de la nuit. Ces derniers voyagent sans date de retour, vont de ville en ville en skateboard et en auto-stop et  vivotent jours après jours en vendant des petits objets artisanaux. Très différents de nous finalement ce qui rend la conversation encore plus intéressante. Il est ensuite temps de reprendre la route magnifique de la veille que nous redécouvrons avec une nouvelle lumière. Nous faisons une brève halte à Humahuaca, un village typiquement andin mais également typiquement très touristique. Nous rencontrons même un de nos pairs cyclotouriste français prénommé Georges. Georges, la quarantaine, ancien boucher charcutier fait un break dans sa carrière et voyage en Amérique du Sud avec 3 appareils photos dans les sacoches. Il nous rappelle par bien des aspects ce bon vieux François, septuagénaire rencontré dans nos Landes Françaises. Le temps d’échanger un peu sur nos itinéraires puis nous nous disons au revoir. Nous allons déjeuner, au calme, 10km plus loin. Nous atterrissons sous le préau d’une école abandonnée en cette période de vacances scolaires. Pas un chat mais pas mal de chèvres. 


Nous commençons à ressentir un certain malaise du fait de l’altitude. Nous avons des feuilles de Coca sensées atténuer les effets du mal des montagnes mais on n’a pas envie de finir comme le pompier de la veille. Donc on s’abstient. En plus, à ce qu’il parait, ça déforme la bouche et ça rend les dents vertes. Non merci !  Alex a donc un peu mal à la tête, Vincent est fatigué et Côme, tout étourdi renverse sa portion de yaourt sur son pull. Il nous reste 60km à parcourir, il est 17h30 et nous ne sommes toujours pas repartis. Ah les bras cassés ! 20km plus loin, une pluie battante nous oblige à nous réfugier dans un Santuario de San Gil, petit abris de montagne pour les voyageurs. Des bougies y sont allumées et nous réchauffent. A près de 3500 mètres d’altitude, l’un d’entre nous découvre aussi les joies des dégâts intestinaux causés par tant d’effort à haute altitude. Il fait donc un certain nombre d’allers retours dans les buissons. Notre vie n’est pas simple tous les jours ! A 21h, nous arrivons enfin au village de Tres Cruces, perché à 3600 mètres. Il pleut, la température ne dépasse pas les 10 degrés et les ruelles sont désertes. Par chance nous tombons sur deux jeunes Tres Cucessois qui trainent sur un banc abrité. Ils acceptent de nous accueillir chez eux. Jackpot ! Nous avons un  garage pour passer la nuit où nous pouvons faire sécher nos affaires et nous réchauffer. Nous partageons le diner et quelques verres de coca avec Fernando et Kévin. Oui oui Kévin ! Bin ce n’est pas trop un prénom argentin mais c’est parce c’est juste un surnom, son blaze si vous voulez ! Son vrai nom c’est Karim… Ah bon !?.  Allez comprendre…
Ce bon vieux fernando


Vendredi, la journée est sans difficulté. Nous avons monté la veille, il est temps de redescendre. Nous roulons donc sans pédaler jusqu’à Abra Pampa où nous faisons les courses et retrouvons à nouveau des français rencontrés à l’auberge de Salta. Nous ne sommes pas si lents que ça à vélo finalement. Ça fait plaisir ! Après avoir déjeuné, alors que nous nous apprêtons à entamer la sieste, nous remarquons qu’un orage approche et que le vent  souffle pour une fois dans le sens de notre progression. « Eh les gars ! Vous ne pensez pas que pour une fois on pourrait arrêter d’être cons et reprendre la route maintenant  avant de se faire tremper et que le vent ne tourne ?! » Ah ouai pas bête ! Nous saisissons cette belle opportunité qui nous fait faire 50km en 2h à peine et nous envoie tout droit à Quiaca, ville frontière avec la Bolivie. Nous ne sommes ni trempés, ni fatigués. Pour une fois, nous n’avons pas été trop bêtes et nous ne sommes pas mécontents. Nous atterrissons au « camping » municipal qui est en réalité un squatte gratuit ouverts à tous les voyageurs. Il n’y a ni toilettes, ni douches mais simplement un robinet et un espace couvert. Nous nous endormons paisiblement sur le son des guitares et percutions. Nos colocataires de la nuit se lancent  en effet dans un concerto endiablé et interprètent avec beaucoup de talent le répertoire des chansons populaires Espagnols et Latino-Américaines : Manu Chao, La Mona Jiménez, Janett, Calle 13…Nous ne participons pas car il nous faut prendre de l’énergie. Le lendemain est un grand jour : après 2500 km, nous quittons l’Argentine pour la Bolivie.


Lost in the Pampa


Le passage de frontière se passe bien. C’est l’occasion de ressortir nos passeports et de faire nos petits commentaires sur les tampons des différents pays que nous avons traversés. C’est un moment propice à la prise de conscience sur le chemin déjà parcouru. Aussitôt de l’autre côté, Vincent va changer nos derniers pesos contre des bolivianos tandis qu’Alex s’empresse de trouver une nouvelle carte sim bolivienne pour communiquer avec sa chérie. Il commence d’ailleurs à avoir une bonne collection de cartes et une certaine expertise sur la téléphonie mobile internationale : Yoigo, Mcel, Vodacom, Movistar, Tigo…. Tu ne peux pas test ! Le contraste entre les deux pays n’est pas flagrant pour le moment. On remarque simplement la tenue vestimentaire traditionnelle des femmes bolivienne (pas franchement hyper sexy) et les voitures de taxis customisées Sparco, Booze, Nitro… Peut-être ont-ils étaient influencés par la récente arrivée du Dakar en Bolivie. Quoi qu’il en soit, ils se prennent tous pour des pilotes. Nous nous mettons comme objectif du jour d’atteindre la ville de Tupiza, située à70km de la frontière. Nous entamons l’aventure à 13h et 40km plus loin, nous n’avons toujours pas trouvé quoi que ce soit à nous mettre sous la dent. « A 3km vous allez trouver un resto de routier » nous dit une passante. « Encore une petite montée et vous y êtes » affirme le chauffeur d’une camionnette en nous offrant trois morceaux de pains. 10km plus loin c’est le ventre archi vide et le sentiment que les boliviens ne sont pas très bons en estimation kilométrique que nous atteignons le petit resto improvisé de Arenales. « Je vais lui faire faire ces 3 km à vélo à la meuf là, elle va mettre trois heures et elle arrêtera de dire des conneries ! » Bah ouai quand on a faim on ne devient pas très fréquentable. C’est tout de même avec plaisir que nous découvrons qu’en passant la frontière, nous sommes devenus riche. Nous mangeons comme des rois pour à peine 2 euros chacun.  Puis il est temps de repartir, si les boliviens ne sont pas très fiables « kilométriquement parlant », notre carte routière non plus : l’étape ne fait pas 70km mais 100. Mais la route est magnifique ce qui nous apaise. Nous traversons des gorges magnifiques, des petites rivières et des petits villages où les habitants nous encouragent. Sympas ces boliviens ! 





Le soir, arrivés à Tupiza, nous mangeons dans un petit stand de rue très bon marché. « Alors les gars, la Bolivie ? » Et bin c’est grave cool, on va pouvoir s’éclater le bide. Nous partons ensuite jeter nos matelas de sol derrière la station-service de la ville (as usual). Vincent et Côme plantent la tente et Alex qui ce soir a la flemme dort  sous un camion-citerne pour se protéger de la pluie. Bien dormi Alex ? « Il y a des chiens qui sont venus me renifler toute la nuit ! J’aime pas les chiens ! » Bon,  voilà un dimanche qui commence dans la bonne humeur. Un petit dej vite enfilé, c’est la fleur au fusil que nous entamons notre première piste de terre bolivienne qui doit nous mener 100km plus loin à la ville d’Atocha, le soir même. C’est une longue étape pour de la piste mais ce n’est pas impossible pensons-nous naïvement. A la sortie du village de Tupiza, nous quittons donc la route asphaltée pour emprunter cette fameuse piste. A l’entrée,  un panneau indicateur : Atocha =100km, Uyuni=200km. Les premiers kilomètres sont très agréables. Nous nous arrêtons tous les km pour faire des photos, filmer et commenter le paysage.


A priori, une piste tranquille, disaient-ils....

 Tout va donc très bien sauf que 2h plus tard (il est déjà 13h), nous n’avons parcouru que 20km. Le calcul est donc vite fait, nous faisons du 10km/heure, le tout sur du plat. Pas terrible donc ! D’autant plus que de très belles montagnes commencent à se profiler. Normal, me direz-vous, c’est quand même la cordillère des Andes ! De plus un passant nous avait bien indiqué qu’il devait avoir de la montée sur les 40 premiers km. La montée la voilà donc ! Et elle s’annonce très difficile : il fait chaud, la pente est très rude et les pierres de la piste ont tendance à nous déséquilibrer. Au loin un lacet qui s’enfonce derrière la montagne et qui semble être le dernier. A cinq reprises au moins, nous pensons en être venus à bout. Mais une nouvelle montagne surgit à chaque fois, c’est interminable. Vincent sort l’altimètre que son frère lui a offert pour Noel : « Alex ! File-moi l’appareil, je vais prendre une photo de l’écran pour montrer à mon frangin qu’on n’est pas des rigolos ! » . 3992 mètres à l’écran. Pas mal mais peut faire mieux ! Ça tombe bien, ce n’est pas fini, c’est même loin d’être fini ! Mais le souffle nous manque. Alex et Côme sont tout blancs, Vincent qui lui  est plus en forme ce jour-là est tout rouge. 

J'en connais un qui a le moral dans les chaussettes

Nous faisons une petite pause pomme quand un motard (une moto cross bien entendu)  s’arrête à notre hauteur. « Where do you guys come from ? ». Si nous nous sommes français, il n’y a pas de doute, lui vient des US. Lui aussi voyage en Amérique du Sud mais avec un moteur en plus. Nous l’interrogeons sur la suite du parcours. « Flat or down » nous répond-il d’un ton assuré. Le même ton sur lequel il nous affirme qu’Atocha se trouve à 50km. « Il s’est bien foutu de notre gueule le ricain » pestons nous quelques 20km plus loin quand nous sommes encore à enchainer les cols à 4000 mètres et que les bornes kilométriques infirment largement ses indications. Nous râlons bien plus que nous avançons. A 16h30, il faut se rendre à l’évidence, il nous reste entre 60 et 70 km à parcourir  nous n’avons toujours pas déjeuné. Alors à moins que d’un seul coup surgisse une descente qui nous mène tout droit à destination, nous allons avoir beaucoup de mal à venir à bout de l’étape avant 11h du soir. Quoi qu’il en soit, nous sortons le réchaud et un petit kilo de pates. Il faut reprendre des forces. Côme n’est pas très en forme et manque d’appétit. Alex s’occupe donc de finir son assiette. Il n’en manque pas une celui-là ! Le déjeuner est silencieux et le moral n’est pas là. Seuls quelques jolis lamas et leurs petits nous redonnent un peu de baume au cœur. Quand, à 17h30, nous voulons reprendre la route, Côme s’aperçoit que son vélo est encore plus crevé que lui ! 

Como te LLamas ? 

Nous changeons donc la roue avant et attaquons l’ascension d’une nième montagne. La Cordillère des Andes c’est une chaine de montagnes. Du coup « montagnes » est au pluriel et il y en a plusieurs. Nous n’y avions pas trop pensé en démarrant cette journée. C’est en tout cas une bonne leçon : en Bolivie tu ne te fais pas des étapes de 100 km les doigts dans le nez. A 19h, nous sommes dans les nuages à 4100 mètres, la nuit tombe petit à petit tandis que la température chute considérablement. Un panneau indique Atocha à 53km. Même si la suite de l’étape est censée être plate, nous ne la finirons pas aujourd’hui : Trop froid, trop dangereux. Par chance, nous arrivons, au sommet d’une crête,  à un minuscule hameau de trois ou quatre constructions parmi lesquelles nous identifions une niche, un enclos à Lama et une petite maisonnette où vit une famille. Nous demandons à cette famille s’il est possible de passer la nuit ici. La mère, prénommée Philomène est très gentille et elle nous ouvre une cabane suffisamment grande pour que nous puissions tenir avec nos vélos. Elle nous protégera de la pluie et surtout du froid glacial qui est tombée sur la montagne. Nous nous endormons très tôt, épuisés mais heureux de passer la nuit en pleine montagne, au milieu de nulle part.

Un peu le Château de Versailles pour nous ce soir là

La bande des caïds des Andes

8h30 : l’un des  4 fils de Philomène ouvre notre tanière pour nous réveiller. Eux se lèvent à 5h, pas de raison que ces gros fainéants de cyclistes fassent la grasse matinée. Il pleut, nous n’avons pas grand-chose à déjeuner et la perspective de cette  nouvelle journée ne nous ravit pas. Néanmoins, les petites bouilles de ces 4 garçons nous redonnent le moral. Ils ont des casquettes Dakar sur la tête et nous racontent que la course est justement passée sur cette route. Mais seulement les motos. Trop étroit et dangereux pour les voitures ou les camions ! L’un des quatre petits essaye de nous impressionner en faisant des accélérations avec son petit vélo sans pneus. Il nous attendrit. A 10h30, nous quittons nos petits camarades sous la pluie en espérant voir bientôt apparaitre cette longue surface plate dont on nous a parlée. 

Avec une sucette dans la bouche tu vas pas aller loin petit!

Celle-ci ne survient que sur les 20 derniers kilomètres. Avant cela,  nous devons encore venir à bout d’un certain nombre de cols. C’est décidé, la prochaine fois nous nous renseignerons mieux sur le relief. On demandera à plusieurs personnes et on fera une série d’échantillonnage statistique pour être bien sûr se promet Vincent. Le paysage est quant à lui  à la hauteur de nos attentes. Des montagnes à perte de vue dont certains sommets enneigés  à 6000 mètres, une végétation étonnante et très changeante aux détours des versants et des crêtes. Puis après cette dernière montée qui fait mal partout, une descente très raide puis une ville qui surgit de nulle part : Atocha ! Ça y est nous y sommes. Nous nous ruons sur le premier resto venu et engloutissons chacun deux plats de patate, riz, escalope ainsi qu’un grand Coca (la boisson !). Un petit garçon du village qui se demande bien ce qu’on fout là  vient nous demander si on fait le Dakar. Il est mignon lui mais faut pas tout confondre : on en a chié, nous !


On a hésité a aller pisser 12 mètres plus haut, on aime les chiffres ronds!




Le lendemain matin, c’est avec pas mal de motivation et une touche d’appréhension que l’on s’apprête à effacer les 100 derniers kilomètres nous séparant d’Uyuni. En effet, la veille, des habitants nous  ont indiqué qu’une rivière nous empêcherait certainement de passer. Nous voulons cependant tenter notre chance. A 8h, nous nous rendons donc à la banque pour tirer de l’argent. En effet, nous sommes à sec et il nous faut faire des provisions de vivres pour cette longue journée qui s’annonce. Petit hic : pas de distributeur dans cette ville qui ne dispose pas de connexion réseau pour faire marcher les cartes bleues. « Euh, on est un peu dans la merde là non ? » Bin ouai pas mal ! D’autant plus que nous sommes des individus endettés. L’orage de la veille nous a obligés à prendre une petite chambre et la note reste à payer. Plusieurs « solutions » s’offrent à nous :
-Un virement bancaire : bin il n’y a pas vraiment internet non plus et puis ce n’est pas certain qu’on trouve un mec avec un RIB ici.
- Mendier : on y a pensé !
- Filer à l’anglaise et parcourir 100km avec pour seul provision un sachet de cacahuètes de 30g : pas génial !
Nous décidons d’opter pour une quatrième solution. Prendre un des 2 bus journaliers qui se rendent à Uyuni en demandant une avance d’argent au chauffeur. Bingo, ça marche, nous chargeons nos vélos sur le toit et nous voilà partis ! C’est donc le ventre vide mais les fesses « confortablement » installées sur des fauteuils que nous voyons défiler le paysage jusqu’à Uyuni. 4h plus tard et deux rivières traversées, nous arrivons à bon port, un peu frustrés d’avoir eu recours à ce moyen de transport mais soulagés. 

Sur la route des motards du Dakar

Alta Gracia - Salta: au pied des montagnes

Aux dernières nouvelles nous barbotions tranquillement dans les lacs et les rivières de la Sierra de Cordoba, une dizaine de jours plus tard et nous voilà dans le grandiose décor de Salta au pied de la Cordillère des Andes. Revenons sur ces quelques moments riches en émotions, en souffrance et encore et toujours en bicyclette…
Bref au petit matin nous quittons Alta Gracia et comme chaque jour depuis notre départ de Buenos Aires nous fondons sous un cagnard assassin. Il fait près de 40° et dans les montées nous avons l’impression de connaitre un avant-goût de l’enfer. Depuis quelques jours les journaux titrent régulièrement sur la vague de chaleur qui touche la région… Réjouissant ! Nous maudissons notre lubie de vivre  « l‘été toute l’année ». Nous achevons l’étape au bled de la Cumbre et nous nous affalons sur une terrasse pour s’enquiller quelques godets de soda bien frais pour se remettre de nos émotions. Nous y rencontrons un français de 70 ans prétendant être un ancien cycliste professionnel (47 victoires au tour de France du temps de Eddy Merckx) et désormais reconverti dans la fruticulture en Argentine. Mouais… A d’autres ! Il nous prend pour des jambons ou quoi ! A notre terrasse nous voyons également le vent se lever et le ciel se couvrir, l’orage tant espéré arrive. Nous nous activons donc à la recherche d’un abri et atterrissons finalement à la caserne de pompiers du coin qui nous accueillent sans poser de questions. Nous découvrons avec bonheur  que chaque village d’Argentine possède sa caserne de bomberos volontaires et que dans l’immense majorité des cas ils acceptent de laisser un bout de sol aux voyageurs en galère. Merveilleux pays n’est ce pas ? Un horizon de nuits douillettes et de douches chaudes s’ouvre devant nous. Sans compter que ça nous fait toujours plaisir d’avoir un peu de compagnie le soir ! Dehors l’orage se déchaine toute la nuit et au petit matin en sortant de nos duvets on se les caille, il fait moins de 20° (oui on sait pour vous c’est beaucoup). L’orage a tout bouleversifié les lois de la nature : il fait frais et on a le vent dans le dos pour la première fois depuis notre arrivée. L’impact du vent dans le dos sur le moral du cyclotouriste est phénoménal, nous engloutissons les kilomètres dans une euphorie totale. Voilà donc après 5 mois de voyage et 6 pays traversés à bicyclette notre équipe d’experts peut vous l’assurer avec une quasi-certitude : le vent dans le dos est bon tandis que le vent de face est mauvais. 



Dans notre enthousiasme nous parcourons 130km dans la journée pour atteindre la ville de Dean Funès  et décidons d’aller frapper à la porte de nos nouveaux copains les pompiers. Encore gagné ! Une joyeuse bande de soldats du feu se met en quatre pour nous installer et nous invite même à partager leur diner. Nous passons la soirée à écouter les anecdotes de chacun et les blagues grivoises dans un argot argentin pas toujours facile à décoder. La soirée se termine par une dégustation de Fernet-Coca le cocktail typique des jeunes du coin tout en écoutant les tubes de la « Mona » Jimenez, the star of Cordoba parait-il (on vous invite à aller regarder sur Youtube).

L'équipe de nuit des pompiers de Dean Funes


Au lendemain nous repartons regonflés comme des chambres à air toutes neuves et nous quittons à regret nos pompiers. Nous jetons un regard sur la carte et devant nous  c’est une ligne droite longue de plusieurs centaines de kilomètres qui nous fait face. Autant vous dire plusieurs jours d’un ennui total… Il faut s’imaginer ce que c’est de pédaler plusieurs heures par jours sur une route parfaitement droite. Le paysage ne bouge pas, nous avons la sensation de ne jamais en voir le bout et il ne se passe absolument rien ! Tous les 50km un petit village tristoune fait son apparition. Bref pas folichon folichon tout ça. 

La route sans fin



Pour nous venger nous décidons d’accélérer un peu le rythme et nous parcourons 150km dans la journée. Pan dans les dents ! Record d’étape pour la Grande Echappée ! Pendant ces jours mornes nous faisons haltes successivement dans les petits patelins  de Recreo (accueillis dans le complexe sportif de la ville), de Tapso (accueillis par la radio de la ville) puis Monteagudo (accueillis par une horde de moustiques sanguinaire et sanpitié). Il faut bien se dire que ces jours ne sont pas les plus excitants que nous ayons connus. A l’heure de se mettre sur le vélo le matin nous faisons franchement la tronche. Après quelques kilomètres Alex se met à la hauteur de Vincent :
« - On va encore bien s’emmerder aujourd’hui non ?
-          Bah ouais »
Chacun à sa technique pour passer le temps sur le vélo. La batterie du mp3 et les podcasts de Franck Ferrand valent cher. Nous  somnolons sur nos montures, perdus dans nos pensées. De temps à autre notre regard s’allume l’espace d’une seconde: on vient de se souvenir du nom de son voisin de cours d’histoire en 3ème qu’on cherchait depuis 1h. Bref on s’ennuie ferme.
Tout ceci nous amène au petit matin du mardi 28 janvier, nous nous réveillons à Monteagudo et notre étape du jour doit nous emporter vers nos premières étapes de montagne. L’objectif est de gravir le col de l’Infiernillo (« le petit enfer » tout un programme) culminant à plus de 3000m et de rentrer dans la vallée de l’Aconquija nichée entre la Sierra de l’Aconquija et la Sierra de Quilmes. Nous rentrons dans le vif du sujet ! Depuis le temps qu’on attendait de trainer nos roues dans les hauteurs, nous allons être servis ! Pour cette première journée les spécialistes cartographes de la Grande Echappée, toujours pertinents dans leurs estimations, prévoient que ça devrait « monter un peu ». Après une cinquantaine de bornes sur du plat nous rentrons dans le parc naturel du coin. Et le moins que l’on puisse dire c’est que le paysage change du tout au tout ! Nous pénétrons dans le cœur de gorges verdoyantes semblables à une forêt tropicale. Les nuages sont accrochés par les montagnes et abreuvent la zone d’abondantes pluies. 



Nous progressons dans cette nature luxuriante tranquillement puis la route commence à s’élever et nous avec. Les lacets s’entortillent sur le flanc des montagnes  et ouvrent sur de fantastiques panoramas. Nous avons le souffle coupé face à cette nature qui se dévoile (bon aussi un peu à  cause de la montée disons le…). Quelle ascension ! 

On serpente on serpente



Cette journée qui devait « monter un peu » se transforme en une véritable épreuve physique. 50km de montée entre les gorges. A mi-chemin nous faisons une pause ,des gouttes de pluies viennent nous caresser les moustaches, on s’en fout parce qu’on est déjà tout trempés de sueur… Nous continuons à avancer dans cette forêt obscure, les jambes se durcissent et le moral flanche un peu. Après 40km d’ascension la lumière perce à travers les arbres et la végétation s’éclaircit. Ouf ! Nous débouchons sur un plateau de verts pâturages qui nous rappelle délicieusement notre Auvergne (encore une fois !). 10km  de grimpette plus tard et nous arrivons sous la pluie àTafi del Valle notre objectif perché à 2000m d’altitude. La vue y est superbe et le village baigne dans un immense lac de barrage. Une bien fatigante journée de 100km dont la moitié de montée et plus de 2000m de dénivelée positive… Bienvenue dans le Nord ! Nous courrons tenter notre chance chez les pompiers qui une fois de plus nous ouvrent grand leurs portes et nous offrent une nuit parfaite pour nous remettre de nos émotions. 
Sales comme des poux mais arrivés



Le lendemain c’est le col de L’Infiernillo qui nous attend mais nous sommes plutôt sereins, la journée de la veille nous a bien remis dans le bain de la montagne ! Quelques heures d’ascension seront toutefois nécessaires pour atteindre le sommet, à 3042m. Nous vivons avec plaisir les quelques minutes passées en haut en compagnie d’une étrange ménagerie (1 cochon, 1 âne, 2 lamas, 4 chiens et 8 chevaux et quelques touristes). 

Record d'altitude à battre dès la semaine prochaine




Lama élegant


Puis c’est la descente vers la ville de Amaicha del Valle située mille métres plus bas  entre les Sierra de l’Aconquija et de Quilmes . Vertigineuse descente dans un paysage époustouflant. Nous quittons les montagnes vertes pour découvrir un versant désertique traversé par de fantastiques formations rocheuses et peuplé de vrais cactus en mode Lucky Luke. Les nuages restent bloqués d’un côté de la montagne semble il . Nous descendons  les lacets de ce décor de cinéma à bonne allure.

Jeunes hommes élégants





 La journée suivante est un vrai kif. Nous voilà passés de l’autre côté de la chaine montagneuse qui nous faisait obstacle et nous pédalons maintenant dans la vallée bien gardée par toutes ces montagnes qui culminent à plus de 4000m. Le soleil nous chauffe doucement, et nous traversons cette vallée pleine de vignes. Surtout nous sommes frappés par le calme qui nous entoure. Peu de trafic et de bien sympathiques petits villages. Nous empruntons pour quelques kilomètres la célèbre Ruta 40 qui traverse le continent sud-américain de part en part. Nous profitons de cette journée pour rouler doucement et prendre le temps. 





Des acrobaties à couper le souffle


Nous arrivons à la ville touristique de Cafayate à la nuit tombée. Fameuse pour ses vignobles nous ne résistons pas et nous offrons un petit coup de rouge pour récompenser nos efforts. Comme nous sommes des quiches en œnologie nous choisissons le meilleur rapport étiquette/prix (c’est-à-dire la plus jolie étiquette pour le plus petit prix). Bref on a encore pris de la piquette… On aurait peut-être dû faire un tour du monde des mauvais vins ? A Cafayate nous logeons au complexe sportif de la ville et nous voyons tour à tour les entrainements de foot, de rugby et de basket. Rien de très exotique en somme ! 




Au matin nous prenons la route de bonne heure et traversons la Valle de las Conchas, probablement la route la plus époustouflante qu’il nous a été donné de parcourir depuis le début de notre voyage. Nous suivons les eaux boueuses du Rio Santa Maria qui serpentent entre les sommets. Partout se sont créées d’étranges formations rocheuses. 

Quebrada de las Conchas



Nous roulons doucement et nous profitons de ces quelques heures au milieu de ce miracle géologique rouge et ocre. Y’avait quelques panneaux explicatifs sur comment s’est formé tout ce bazar mais on a eu un peu la flemme de tout lire mais ça nous a rappelé notre programme de seconde en svt. Pour votre gouverne et parce que c’est un blog intello quand même on vous donne des infos : avant y’avait de l’eau qui a laissé des fossiles coquillages et la couleur rouge ça veut dire qu’il y a de l’oxyde de fer. Voilà pour la culture. Nous on a plutôt ouvert grands les yeux pendant toute la journée, incultes mais heureux. 








A la fin de l’étape du jour c’est un Côme songeur qui nous fait remarquer la diversité des paysages que nous voyons depuis quelques jours : des grandes plaines à la forêt tropicale, des montagnes verdoyantes au désert de cactus, des vignes au canyons rouges… Une seule étape nous sépare de Salta, capitale touristique du nord, que nous parcourons rapidement. Nous y prévoyons un peu de repos après une belle semaine riche en émotion. Tous ces efforts ça nous fatigue. Comme dirait l’autre « saltapprendra à vouloir faire le tour du monde en vélo »…