Ce titre évocateur n’a rien d’innocent. Ces derniers jours
ne furent pas de tout repos pour un trio à triste mine et dont la vitesse
moyenne approche celle de nos escargots de Bourgogne. Commençons par les
réjouissances. Nous sommes à Uyuni, petite annexe du parc Disneyland Paris
perchée à 3600 mètres sur l’Altiplano bolivien. A peine arrivés nous tombons
par hasard sur Alexis, Vianney et Quentin, trois copains de l’ESCP qui voyagent
à vélo en Amérique du Sud, trois échappés comme nous en quelque sorte. Ils
repartent le lendemain, nous aurons à peine le temps de trinquer autour d’une
bière. A Uyuni s’étend le désormais bien connu Salar (entendez désert de sel),
une merveille de la nature que nous pensions traverser à vélo. Malheureusement
à cette époque de l’année, ce petit lopin de lune (la taille d’une région
française tout de même) est recouvert d’une fine couche d’eau qui rend toute
traversée suicidaire pour nos vélos. Nous prenons donc place dans un 4*4 comme
tout le monde avec un guide Bolivien, dont le nom nous échappe aujourd’hui.
Appelons le « Youni » pour la bonne conduite du récit. Youni commence
par nous emmener, nous, un autre français (Martin), et trois coréen(e)s , sur
le site d’un cimetière de trains en plein désert avant de filer droit vers l’immensité
blanche du Salar. A mesure que nous progressons au milieu de ce no man’s land,
l’horizon disparait dans une lumière diaphane. L’eau recouvrant légèrement le
sel immaculé, le reflet du ciel se fait de plus en plus parfait, au point
qu’arrivés au cœur du Salar d’Uyuni, il devient presque difficile de distinguer
ciel et terre. Au loin, quelques autres 4*4 passent en volant entre des
montagnes aériennes qui font penser au décor d’Avatar. Nous profitons de
l’incroyable perspective qu’offre l’endroit pour réaliser quelques photos rigolotes.
L’excursion dure presque une journée. Une journée à faire les guignols dans le
sel, à cramer nos yeux et notre peau sous ce soleil qui se réfléchit dans le
miroir salé, puis nous rentrons. La route est bosselée et boueuse, et nous
sommes mine de rien assez fatigués. Alors forcément , sur le trajet du
retour :
-Bon, on en est où Youni ? J
A l’arrivée nous sommes cuits et rentrons nous laver, les
yeux encore éblouis par ce merveilleux miroir géant. Et puis nous sommes
contents ; paradoxalement l’addition ne s’est pas révélée trop
salée ! (celle-là aussi il fallait que je la fasse) Le lendemain il semble
que nous soyons prêts pour refaire du vélo. 10 km se passent, nous montons un
petit col, puis arrivés en haut, Vincent et Côme sont arrêtés par une voiture.
-les gars votre pote il va pas bien là, allez voir.
Effectivement, deux lacets plus bas, Alex est avachi sur le
bord de la route, pris de fièvre et de maux de ventre. Faux départ ! Terminus
tout le monde descend ! On plie boutique et on repart à Uyuni. Alex peut
se reposer et retrouver des forces au son des savantes paroles proférées par sa
douce au téléphone. Nous repartons le lendemain, il va mieux et nous pouvons
rejoindre Tica Tica, à 80 km plus au Nord.
Autant dire que ce petit village n’a rien à nous raconter. (On espère
que Titicaca sera mieux). Il pleut, il fait froid, une petite fille tente de
voler la canne à pêche de Côme (si elle savait à quoi elle se risquait la
pauvre gamine), nous campons sur la place du village et pour clôturer les
réjouissances, Vincent tombe à son tour malade . Les mêmes maux de tête, un peu de fièvre et des intestins qui jouent à la marelle !
Des copains Colombiens drôlement motorisés en haut d'un col |
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Alors en arrivant, Vincent va se coucher, enroulé comme une empanada dans des kilomètres d’épaisseur de couverture et Alex et Côme récupèrent doucement autour d’un repas chaud. Les deux gamins de la propriétaire gueulent, la fille pleure pendant une demi-heure, on a vu journée plus joyeuse. Deux petits chatons viennent tout de même se blottir contre nous au moment d’aller se coucher. Le rayon de soleil ? Ne faisons pas de superstitions, ça porte malheur..
Le lendemain, Vincent n’a pas retrouvé toutes ses forces
mais Alex va beaucoup mieux et Côme est en forme (passé au travers du filet cette
fois-ci). Il nous en faut de la forme car l’étape est courte jusqu’à Potosi
mais encore une fois bien vallonnée. 2 côtes au total, nous dit-on. Parole de
Bolivien, attention l’arnaque n’est jamais loin. Alors en effet nous
franchissons deux cols, dont un sous la pluie, avant d’arriver plus ou moins à
Potosi. Mais la ville la plus haute du monde est un mur, et s’étale sur
plusieurs kilomètres. Alors nous grimpons encore avant d’arriver dans le
centre. Sur le chemin les gamins nous arrosent, d’autres tentent de nous
bombarder de mousse à raser. Nous avançons, n’y prêtant que peu d’attention.
Mais arrivés sur la place centrale, nous sommes cette fois assaillis par une
nuée d’enfants qui nous recouvrent de la tête au pied de mousse, nous éclatent
des bombes à eau au visage, c’est une policière qui finit par aider Côme à s’en
sortir. Nous apprenons ensuite que c’est aujourd’hui le Carnaval des mineurs de
Potosi, la ville entière est en effervescence et personne n’est sorti sans un
imperméable et sa bombe de mousse…sauf nous !
Nous partons nous réfugier dans une chambre d’un Hostal bon
marché, la Compania de Jesus, un ancien couvent, semble-t-il. Le lendemain
c’est à nouveau repos. Vincent doit reprendre des forces et nous ne pouvons
quitter Potosi sans avoir exploré ses mines. Nous partons à 9 heures nous
équiper. Notre guide nous prête des bottes, une combinaison, un casque et une
frontale et nous voilà partis, à 4300 mètres d’altitude, au cœur d’un
labyrinthe de tunnels d’1,50 mètre de hauteur de plafond.
l'entrée de la mine, sur les hauteurs de Potosi |
Le sol est humide,
parfois trempé, les parois recouvertes d’oxyde de cuivre aux teintes vertes et
le plafond semble tenir par miracle, soutenu par des poutres d’eucalyptus
disposées de façon aléatoire. Notre guide n’a rien d’une professionnelle, mais
du moment qu’elle nous sort d’ici, tout va bien. Sous cette montagne, 15000
mineurs se relaient par petits groupes de travail, cassant minutieusement la
roche, explosant certaines parois à la dynamite pour en extraire le précieux
minerai, un alliage de zinc et d’argent qu’ils vendent brut à des exploitants.
Il y a très peu de mineurs ce jour-là dans les tunnels, la plupart récupèrent
de ce carnaval arrosé qu’ils avaient attendu depuis un an.
Ca va, on sait que t'as les mêmes dans tes toilettes! |
Mais le peu que nous
voyons fait peine à voir. La guide nous emmène dans les profondeurs de la
montagne pour les voir, là où l’air est le plus rare, le plus toxique, là où il
faut passer 7 heures par jour le dos courbé et les yeux dans la poussière et
les éclats de roches. Nous nous nous sentons mal, révoltés contre ce travail
d’animaux, pas à notre place, gênés de notre situation confortable. Sans
scrupule, la guide nous indique que la durée de vie des mineurs excède rarement
les 45 ans. Nous rencontrons Don Mario, un ancien de la mine.
-
Vous avez quel âge ?
-
46 ans. Nous répond-il..
Nous en avons assez et sentons vite que nous n’avons rien à
faire là. Nous revenons donc quelques siècles en avant et sortons de cette
mine. L’expérience vaut certainement le détour, mais nous en sortons un peu
secoués, et certainement aussi déçus par la nullité extrême de notre guide.
Heureusement
ce soir-là nous somme rejoints par
Quentin, un bon copain de l’ESCP qui voyage en Bolivie. Il nous raconte ses
aventures, nous dit qu’il lit notre blog régulièrement (« l’invitation au
voyage, une note d’humour, j’aime bien », seront ses paroles). Alex et
Vincent partent se coucher, et Côme par en ville boire quelques bières, trop
heureux de retrouver son grand pote.
Ce cher Quentin, dans une rue de Potosi |
Le lendemain Vincent
va mieux il retrouve l’envie de faire du vélo et d’affronter les prochains
cols. Nous pouvons repartir pleins de ressources en direction de la Paz. Les
trois premiers jours sont les plus durs. Nous imaginons la première étape plus
facile, étant donné la hauteur de laquelle nous partons. Mais en réalité en 20
minutes nous redescendons bien bas. Il faut remonter, puis redescendre. Le
premier soir nous sommes rattrapés par la nuit et le froid dans une côte. Nous
décidons de passer la nuit au bord de la route où vit une modeste famille qui
nous ouvre une petite pièce à peu près isolée du froid pour dormir. Les deux
enfants sont ravis, ils nous posent des tas de questions, jouent avec nos
vélos, avec le klaxon d’Alex, s’étonnent de voir notre réchaud s’enflammer. Le
matin nous les accompagnons sur le chemin de l’école où ils se rendent à pied,
un peu plus loin sur la route. Ils courent après nos vélos, jamais essoufflés,
alors que nous repartons dans la pente.
Pause déjeuner, sous la pluie, on bricole un abri |
voila pourquoi on avance pas dans les montagnes |
A midi nous profitons du passage dans
un petit village pour manger un bon morceau de poulet, du riz et une soupe
chaude. A la télé, il y a même un match de Champions League en direct de
l’Europe, au diable la sieste ! L’après-midi est cette fois-ci
ensoleillée, les crêtes rocheuses prennent des couleurs magnifiques sous la
lumière baissante du soleil et une dernière grimpe à 4400 nous offre un
panorama grandiose sur des kilomètres de vallées vertes et de sommets aux
pointes blanches. Puis nous redescendons à la nuit tombée. Mais la roue de Côme
crève, et Alex, 100 mètres devant ne l’a pas vu s’arrêter et malheureusement c’est
lui le responsable rustines/chambres à air. Alors les derniers 6 km se feront à pied pour
le pauvre Côme qui en arrivant lâche un :
-C’est quand même bien mieux la marche J … (Encourageant pour la suite du voyage)
Bah souris champion! |
Ce soir-là, à Thola Palca, l’unique professeur du village
nous ouvre une salle de classe pour passer la nuit. Nous avons une table pour
diner, de l’électricité et il fait nettement moins froid que dehors. Et la
nouvelle du jour est de taille ! Dès demain nous quittons les montagnes
jusqu’à la Paz, et rejoignons l’Altiplano ! Nous sommes regonflés à bloc,
excités comme des enfants d’en finir avec ces côtes. Mais la roue de Côme,
elle, a du mal à bien se regonfler, notre pompe semble hors service et sa roue
frotte son axe. Tant pis, nous partons. Les 30 premiers kilomètres pour Vincent
et Alex sont une douce et longue descente, un régal. Pour Côme c’est comme une
lente montée sur le premier plateau avec un pneu à plat. Frustration ultime,
c’est comme jouer au babyfoot avec une balle carrée ! Finalement nous décidons d’arrêter une
voiture. Côme accroche son vélo sur le toit et part rejoindre le prochain
village à 30 bornes en attendant les deux autres. Par chance nous trouvons un
mécano qui nous remet la roue en place et regonfle le pneu. Sans doute pas
l’inventeur de la poudre mais un génie pour nous. L’énergumène nous a tout de
même demandé si le drapeau avec notre logo était le drapeau argentin…
Cette fois tout est en place, nous avons quitté
l’hyperaltitude et le plafond des lamas pour le plancher des vaches. Nous
renouons avec l’agriculture. C’est la fin des cultures extensives des graines
de riendutout, le début des champs de quinoa aux couleurs de feu au pied des
montagnes toujours si vertes. La route est nettement moins déserte et traverse
régulièrement de petits villages, des fermes, des églises. Nous ne sommes plus
seuls.
Un champ de Quinoa les pieds dans l'eau d'un petit lac |
Nous passons de petites villes aux noms poétiques comme la ville de
Poopo qui n’a pas le moindre charme mais n’est pas sans nous rappeler le
carnaval intestinal qui a eu lieu quelques kilomètres plus haut. Très vite nous
sentons la capitale approcher. La route s’élargit, le paysage s’enlaidit et les
villages se font de plus en plus rapprochés. Mais nous savourons tout de même
le retour du plat et recommençons à boucler des étapes de plus de 80 km. Les
trois derniers jours sont assez monotones sur une affreuse route en travaux
traversée à toute allure par les poids lourds et les bus qui parfois nous
obligent à faire des écarts. Nous le savons, l’approche des grandes villes
n’est jamais très joyeuse. Alors pour nous consoler nous forçons le destin et
décidons un soir de camper dans la pampa au milieu d’un troupeau de vaches en
apparence amicales. La soirée se passe bien, c’est au matin que nous découvrons
hors de nos tentes qu’elles nous ont volé notre petit déjeuner ! C’est
tout de même vache ! En revanche l’une d’entre elles a eu la lumineuse
idée de faire notre vaisselle de la veille en léchant minutieusement toutes nos assiettes
(vachement plus sympa).
retour sur le plat de l'Altiplano andin |
Un beau bivouac, on va pas se le cacher |
Puis nous arrivons enfin aux portes de la capitale, cette
ville si haute perchée au nord de notre carte de la Bolivie, cette ville dont
nous rêvions. La Paz c’est pour nous quelques jours de repos, la route de la
mort, un sommet mythique à 6088 mètres mais aussi la très prochaine entrée au
Pérou. Mais tout ça on vous le raconte la prochaine fois. Nous arrivons par
l’infinie banlieue de El Alto, à presque 4000 mètres de hauteur sur un haut
plateau entouré de sommets enneigés. Nous ne voyons pas la fin de cette immense
avenue, bloquée par moments par des manifestations qui nous obligent à faire
des détours. Puis soudain sur notre droite, la route tourne et semble buter
contre du vide. Nous nous approchons. Là, par une pente abrupte, presque une
falaise, le plateau s’ouvre en un gigantesque trou au pied de la Montagne. 400 mètres plus bas,
au fond de ce trou, nous apercevons des immeubles et de grandes avenues,
bienvenus à La Paz ! Sur ses flancs presque à la verticale, des milliers
de petites maisons s’amoncèlent, en équilibre sur des pentes escarpées. Nous
n’en croyons pas nos yeux. Le spectacle, vu d’en haut, nous rappelle les mots
d’un célèbre personnage de roman, nous pensons alors très fort : « A
nous deux, La Paz ! »
Vivement le prochain article |
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