Aujourd’hui, il est 6h30 du matin en Afrique du Sud à
Pilgrim’s Rest, perché à 1350 mètres d’altitude dans le brouillard. Nous sommes
allongés dans une grande pièce vide sur nos matelas, autour de nous, nos
vêtements sèchent, suspendus un peu n’importe où. Alex se réveille brusquement,
lève la tête et au-dessus de lui découvre un flic en armes venu nous réveiller.
Revenons sur ces derniers jours pour comprendre comment nous en sommes arrivés
là.
Nous quittons Maputo la capitale mozambicaine un matin pluvieux
et décidons d’emprunter une route secondaire pour éviter la N4 et les allers
retour des camions sudaf’ approvisionnant le pays. Le GPS nous indique une
route longeant ce grand axe. Nous y allons, sûrs de rien mais bien décidés à
quitter le pays. Quelques kilomètres plus loin, la règle d’or du Mozambique se
confirme, toute route secondaire indiquée sur la carte est soit inexistante,
soit vraiment moisie. Nous voilà face au
deuxième cas de figure. Nous entrons sur une piste boueuse au possible, nos
vélos s’enfoncent et nous éclaboussent de cette boue ocre sur plusieurs
kilomètres. Nos pompes sont hors d’état d’usage et une bonne couche de glaise
recouvre nos montures rendues méconnaissables. Il faut nous rendre à
l’évidence, nous ne pourrons jamais faire encore 100 km dans ce bourbier. Nous
décidons de rejoindre un peu plus loin la N4 qui en fin de compte ne s’avère
pas si encombrée.
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Chouette de la boue ! |
Nous voilà donc lancés, un bon vent presque dans le dos,
jusqu’à Ressano Garcia, dernier village avant la frontière où nous prévoyons de
passer la nuit. A l’arrivée nos compteurs affichent presque 120 km et nos vélos
ont besoin d’une bonne toilette. Nous trouvons rapidement un bar restaurant de
routiers où toute l’équipe nous accueille, remet à neuf nos vélos, nous offre
la douche et nous trouvent un endroit couvert où passer la nuit dans l’arrière
cours du restaurant.
Nous pouvons nous endormir et rêver d’Afrique du Sud. A
vrai dire nous ne savons pas bien à quoi nous attendre. La surprise du
lendemain est totale. Nous nous réveillons vers 7h30 et rejoignons le poste
frontière de Ressano Garcia. Nous découvrons ce dernier village qui semble
complètement à l’abandon, comme si nous retournions au Nord du Mozambique, le
Nord au T-shirt troué. La rue est crasseuse, les cases en taule semblent
s’écrouler, de gros camions traversent en plein centre, rejetant d’épaisses
fumées noires et le temps gris de ce matin n’est pas là pour embellir ce
paysage. Arrivés à la frontière, une longue queue humaine attend pour faire
tamponner son passeport, peut être deux heures d’attente.. Mais la chance nous
sourit. Un militaire jovial s’approche de nous et nous demande de lui expliquer
cet accoutrement, les vélos, tout ça tout ça. On s’exécute et balance notre
traditionnel discours. -Quoi ?!! en vélo !? Accompagné d’un mime du
pédalier drôlement réussi.
-Ouioui
-En vélo ?!! toujours le même mime, un poil lourdingue.
-Euuuh… Oui..
-Venez avec moi !
Aahhh là d’accord ! Nous le suivons, passant devant toute la queue qui
doit se demander qui nous sommes pour se voir ainsi privilégiés. Trois tampons
et deux minutes plus tard nous sommes en Afrique du Sud sur une grande route
asphaltée d’une propreté irréprochable. Autour de nous, nous retrouvons une
agriculture de masse. D’immenses champs de bananes parfaitement rangés, des
papayes et des citrons en allées rectilignes clôturés par des barbelés
infranchissables. Rien que cela aurait presque suffit à nous convaincre que
nous étions revenus en Europe. Mais le choc vient surtout en entrant dans
Komatipoort 5 km plus loin. Autour de
nous des pavillons bien entretenus devant lesquels sont garés de gros 4x4, des
boutiques aux devantures accueillantes, des restaurants, des fast food, le
portable de Côme indiquant la réception de plusieurs réseaux WiFi, et au bout de
la rue principale, un grand centre commercial et un énorme supermarché !
Et toujours à 5 kilomètres de là, le village peut être le plus miteux et désolé
que nous ayons vu au Mozambique… Avec ce mauvais temps qui nous suit nous avons
tendance à penser que nous ne sommes plus en Afrique.
Un peu émus de retrouver nos habitudes alimentaires
européennes nous passons un long moment à explorer ce supermarché et faire le
plein pour les trois prochains repas. Nous retrouvons du jambon, du cheddar,
des yaourts, du ketchup, des fruits et légumes à bas prix, de quoi retrouver
nos pique-niques français. Et puis nous observons les clients. Beaucoup d’obèses
se frayant un chemin entre les allées, s’offrant une bonne pause pour souffler
un peu devant le rayon peannut butter. Des types à longues moustache, short
chemise et chapeau beige se croyant encore en plein safari dans le Kruger Park
au temps de la colonisation. Et pas mal
de gars à la dégaine pas possible qui mériteraient vraiment un carton rouge.
Globalement c’est vrai qu’on s’est un peu moqué mais il faut dire que nous ne
sommes vraiment pas convaincus par le style des sudaf. Mais relativisons, heureusement qu’on a pas souvent de miroir à portée
de main car il faut voir le look qu’on se tape certains jours..
Les retrouvailles faites avec notre chère « Europe », nous repartons sur cette
belle route, à quelques kilomètres au sud du Kruger National Park, le plus
grand parc animalier d’Afrique ! Et même ici
(à l’extérieur du parc ) la vie semble bien tourner autour de toute
une faune incroyable. Ainsi nous passons la crocodile river, la Buffalo river,
croisons la Leopard Guest House ou encore la Impala banana farm. Le long de la
route s’étendent des kilomètres de réserves de chasse privées : « Do
not enter, presence of dangerous wild animals ». Autant dire que Alex et
Vincent ont du mal à contenir l’émotion de Côme dans cet environnement. Et puis
d’un coup nous apercevons dans les bois un groupe de Spring Box occupées à
brouter tranquillement.
-Imagine un lion arrive et les déglingue ! sort Alex,
avec une voix de chasseur de brousse.
Quelques kilomètres plus tard c’est un majestueux impala
avec ses longues cornes en tire-bouchon qui détale sur le bord de la route,
puis un groupe de singes capucins nous regarde, perchés sur une barrière.
Malheureusement à chaque fois, le temps de sortir l’appareil photo, nos copains
sont déjà loin. Mais nous vous prions de bien vouloir nous croire !
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Celui là n'a pas échappé à notre objectif |
Nous
voilà donc, terminant cette première étape sud-africaine, 75 km plus loin face
à une station essence Total accueillant
les visiteurs par un « Bonjour » en bon français.
-Vous ne trouvez pas que ça aurait du charme de camper ici pour notre première
étape sudaf ?
-Allez on le tente ! (sans mauvais
jeu de mots…)
Ainsi, autorisation en poche, nous nous retrouvons à planter
la tente sur le parking d’une station Total. Le temps de diner et de ranger nos
affaires et il se met à pleuvoir à nouveau. Nous nous réfugions sous nos tentes
pour une nuit bien humide et pas très agréable.
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Un petit goût de France... |
Le lendemain nous constatons
notre avance sur notre point final Johannesburg et décidons d’aménager notre
itinéraire afin de profiter plus de la région et de se faire quelques jours
bien sportifs dans les montagnes. Ainsi nous prenons la route vallonnée qui
nous emmène à Barberton, après 65km à grimper les hautes collines qui nous en
séparaient. Les panoramas sont splendides, nous sommes presque seuls sur cette
route mais le temps toujours gris gâche un peu la fête. Arrivés à Barberton,
les jambes tendues et douloureuses nous nous écroulons en plein centre-ville
pour faire la sieste.
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Pub Volvic |
Nous sommes réveillés par
le téléphone qui sonne pour nous apprendre la mort officielle de Mandela qui
remue la terre entière depuis hier, et nous pourtant en Afrique du Sud n’étions
au courant de presque rien. Nous apprenons aussi avec un certain soulagement
que l’équipe de France tombe dans un groupe plutôt facile pour la coupe du
monde : Equateur, Suisse, Honduras…
Alors nous sommes confiants (comme toujours avec les bleus), disons que
ça nous guarrantie au moins 4 matchs à regarder au mois de Juin.
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Boire ou conduire il faut choisir |
Nous repartons pour quelques km puis tombons sur une église
au milieu d’un beau jardin entouré de bâtiments de brique. Tout semble vide.
Nous attendons la nuit, décidés à y planter la tente où à trouver quelqu’un
pour nous ouvrir une salle. Vient alors Francesca, une petite dame d’une
soixantaine d’année à l’accent d’Europe de l’Est. Francesca nous explique que
nous sommes dans un centre d’accueil pour orphelins atteints du SIDA. Nous lui
exposons notre requête habituelle et en quelques minutes elle nous ouvre une
petite maison vide mais équipée d’une douche et de toilettes propres. Nous ne
pouvions pas rêver mieux. Nous dormirons par terre mais tout ce confort et la
gentillesse de notre hôte nous donne du courage pour affronter les dures étapes
qui nous attendent.
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Francesca's place |
Le lendemain en effet, les 65 km jusqu’à White River à 1000
mètres d’altitude mettent nos jambes et notre souffle à rude épreuve. Nous
commençons par quelques côtes, puis un col à 1300 vraiment raide avant
d’arriver à Nelspruit pour le déjeuner. Et quel déjeuner ! Nous décidons
de flamber et de nous offrir un Mcdo dont nous rêvions. En réalité petit excès,
les Mcdo ici coûtent deux fois moins cher qu’en France.
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Frites Coca Sauce Africa |
Nous repartons sous un
fin crachin breton pour 20 km et deux longues côtes pour arriver cette fois
sous une bonne pluie, à White River. Il faut se dépêcher de trouver un endroit
pour dormir avant d’être trempés. Nous sonnons à quelques portes et très vite
une petite famille accepte de nous prêter un bout de son jardin. Nous passons
le portail, posons nos vélos, revenons vers nos hôtes. Mais tout le monde est
rentré dans la maison et ne semble plus vouloir nous adresser la parole.
Pourtant ils nous voient, attendant dans le froid abrités sous un toit devant
la maison, eux jouant aux fléchettes à l’intérieur. Il n’est que 18h. Nous
n’avons pas faim et il est trop tôt pour s’installer. Pendant presque deux
heures ils nous laissent poireauter dehors
sans bouger. Seuls leurs deux enfants de moins de 10 ans viennent nous voir
pour s’amuser un peu. Ça doit les faire marrer trois guignols sous la pluie, accueillis par des gens bizarres qui ne veulent pas
leur parler. Puis trois personnes quittent la maison et passent devant
nous sans même nous regarder. Nous comprenons qu’il s’agissait d’amis de la
famille et que notre présence les gênait un peu. Puis dès leur départ tout le
monde vient nous voir. Le père qui nous parle de pêche, sa femme qui se
présente timidement, la grand-mère qui vient nous prendre 10 fois en photo pour
mettre sur son Facebook et toujours les deux gamins surexcités qui nous
tournent autour. Le père nous propose même de dormir dans le garage, au chaud.
Nous n’en revenons pas, la situation s’est totalement renversée et cette
famille que nous avions maudite se révèle bien sympathique.
Nous repartons le lendemain pour Sabie. 50 km d’une
« piste noire » d’après une carte de cyclistes de la région que nous
verrons plus tard. La route est un enchainement de grosses côtes, de faux
plats, de petites descentes puis elle se termine par un col à plus de 1500
mètres avant de redescendre vers Sabie. Nous perdons tous nos repères. Parfois
après une dure montée, nous repartons et croyons descendre, mais le compteur
reste bloqué à 12 km/h. En fait c’est juste la côte qui est devenue moins
raide, de quoi pêter un plomb ! Ce dernier col nous épuise. Nous arrivons
en haut trempés, avec de quoi remplir une bonne bouteille d’un litre juste en
essorant nos T-shirts qui dégoulinent. Vincent a même dû s’arrêter en pleine
côte pour filer l’adresse de notre blog à un automobiliste impressionné.
Arrivés à Sabie en début d’après-midi la récompense est de taille. Nous
atterrissons dans un charmant petit village à l’allure un peu irlandaise,
vivant du tourisme et des sports de plein air, où nous profitons d’un rare
rayon de soleil pour déjeuner dans l’herbe. Puis nous nous installons à la
terrasse d’un café pour retrouver une connexion à internet. La nuit tombant, il
nous faut vite nous mettre en quête d’un lieu sûr où planter la tente. Après
une recherche un peu plus longue dans les rues du village nous finissons par
atterrir dans l’enceinte d’une Eglise protestante semblant vide. Une policière
un peu trop bavarde nous propose d’appeler le pasteur pour obtenir une
autorisation de camper. En 5 minutes il nous rejoint et dans un anglais à
couper au couteau nous propose de nous ouvrir une salle de bain de la maison
paroissiale, la salle de bain des femmes, elle est plus grande ! Car oui
tout le monde ne parle pas parfaitement anglais en Afrique du sud mais surtout
Afrikaans, un mélange de hollandais, allemand et anglais issu de la présence
hollandaise de la première colonisation.
Alors notre homme nous avoue :
-Quand je me mets à parler anglais ou à faire des maths, je deviens
dangereux !
Comme il pleut encore et toujours, nous ne sortons pas les
tentes et décidons d’investir les toilettes des filles, et, un peu entassés nous nous endormons au pied
de la cuvette.
Une journée à priori tranquille se profile le lendemain,
visite de cascades, piscines naturelles et pique-nique dans l’herbe. Simplement
lorsqu’il pleut toute la journée, qu’il y a un épais brouillard et des côtes
jusqu’à 1700 mètres, c’est plus la même
limonade.
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Côme a 1780m above sea level, tricheur |
Nous démarrons la journée par un arrêt à la chute d’eau de Sabie, à
la sortie de la ville. Puis nous démarrons une longue ascension pour terminer
dans la brume et les sapins, au milieu d’un décor mélange de Scandinavie, de
Canada et d’Irlande, mais surtout pas d’Afrique. Et puis de temps en temps, sorti de nulle
part, sous la pluie, un babouin vient traverser la route alors qu’on commençait
à s’attendre à voir passer des marmottes et des chamois, voire même à tomber de
la neige. Passée cette longue montée nous atterrissons aux Mac Mac Falls, une
chute d’eau de 65 mètres de haut plongeant dans une jungle épaisse qui nous
ramène un peu en Afrique. Nous
enchainons ensuite sur les Mac Mac Pools, les fameuses piscines naturelles.
-A quel moment ils se sont dit qu’en donnant un nom aussi naze à leurs cascades
ils pourraient attirer des touristes ?! s’exprime ainsi l’un de nous, sans
doute un peu aigri à cause du mauvais temps.
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Aaah les Mac Mac Falls |
En effet, notre déjeuner sur l’herbe, au bord de l’eau se
transforme vite en un pique-nique humide à l’abri de la pluie, polaire et
pantalon de sortie, en attendant que ça cesse. Pourtant l’endroit doit être
magnifique au soleil, mais pour le moment c’est soupe
à la grimace pour la Grande Echappée. Pour nous remonter le moral et
nous redonner des forces pour la grimpette de l’après-midi, un groupe de sudafs
nous offrent un peu de leur copieux
barbecue. Saucisses, bœuf grillé, haricots blancs à l’anglaise et pâte
de maïs. Le sourire nous revient pour terminer cette étape. Sur les 25 km restants,
nous grimpons presque tout le temps jusqu’à atteindre environ 1700 mètres avant
de redescendre vers Pilgrim’s Rest. Il pleut des trombes, nous sommes trempés
et gelés mais nous nous accrochons jusqu’à la dernière côte, la plus dure de
toute. Pas trop long mais un enchainement de lacets parfois vraiment raides, de
quoi nous achever avant l’arrivée. Et toujours les fesses qui nous font mal
dans les montées. Nous ne savons pas bien pourquoi. D’un côté il n’est pas bien difficile d’imaginer qu’il est douloureux
de se prendre une montagne dans les fesses !
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La soupe à la grimace |
Sur ces paroles poétiques nous arrivons juste avant la
tombée de la nuit à Pilgrim’s Rest, un petit village d’anciens chercheurs d’or
conservé en l’état, perché à 1300 mètres au cœur d’une vallée sans doute bien
verte mais pour le moment assez
fantomatique dans cet épais brouillard. Nous recommençons notre quête d’un
logement, rêvons d’un endroit chaud et sec pour faire sécher nos affaires et
nous réchauffer, prendre une douche éventuellement. Presque tout est fermé ou
vide, mais nous finissons par trouver une maison allumée. Une petite fille nous
ouvre en souriant et appelle sa mère à qui nous expliquons la situation et
demandons si nous pouvons occuper son garage cette nuit. Son mari arrive aussi.
Elle lui explique notre demande.
- Alors il y en a un qui vient de Tanzanie, un autre de France, ils font du
vélo, j’ai pas tout bien compris, mais en tout cas ils sont dans un sale état.
Et moi je suis aussi une maman alors je ne vais pas les faire dormir dans le
garage. Suivez-moi !
Là elle nous indique une pièce vide au chaud dans la maison,
une douche chaude et une cuisine, tout ce dont nous rêvions. Elle s’excuse même
de ne pas avoir mis de rideaux à la fenêtre, puis nous explique qu’elle ne sera
pas là cette nuit. Elle travaille dans une épicerie dans le village mais rentre
dormir à Sabie le soir en voiture. En revanche la pièce d’en face sera occupée
par ses deux employées qui ne nous adressent pas même un sourire et resteront
enfermées dans leur chambre.
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Pilgrim sous un rayon de soleil |
Nous nous installons puis profitons de la table et de la
cuisine pour savourer un bon diner, puis nous nous endormons, épuisés, vers 22h. Et c’est ainsi qu’à 6h30 nous sommes réveillés par
un policier qui nous demande de quitter la maison. Nous apprendrons ensuite
sans vraiment comprendre, que les deux employées se seraient plaintes du bruit et auraient fait appel à ce flic le matin, pensant que nous étions
censés partir à l’aube.. Finalement le policier, suite aux explications d’Alex
et Vincent, repart sans rien demander. Côme lui, endormi profondément, comme
d’habitude, n’a rien entendu.
Assez incompréhensible tout ça.. En tout cas la boucle est
bouclée et Joburg approche à grands pas !
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Cool Alex a trouvé 2 clés de Fort Boyard |
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