Ce premier soir c’est aussi le soir du 10 Janvier,
l’anniversaire de Côme qui a désormais 23 ans. Alors pour l’occasion, Estelle
Nassim et Thibaut nous ont préparé un asado (barbecue en Argentine) sur leur
terrasse pour nous faire découvrir l’incroyable viande argentine. Ce soir,
c’est soir de fête et on ne vous cachera pas qu’on a bien ressorti le tire-bouchon
de notre couteau suisse qui commençait à sérieusement à s’encrasser. Sophie, une autre copine de l’ESCP nous a
rejoint.
L’ambiance est au beau fixe, ça transpire l’inintelligence à mesure
que les bouteilles de vin tombent. Avouons que ça fait du bien de temps en
temps. Nous dansons, chantons sur des tubes de Pierre Bachelet ou Joe Dassin,
sans peur du ridicule, puis filons dans une boite de Palermo. Jusqu’à 6 heures
toute la fine équipe investit la piste de danse jusqu’à n’en plus pouvoir
marcher, puis va se coucher en trainant du pied, sauf Côme, qui préfèrera se
perdre en ville puis s’endormir sur le pas de la porte en attendant qu’un
somnambule vienne lui ouvrir.
23 ans et une forme olympique pour Côme |
Nous passerons encore 2 jours à nous promener en ville,
profitant de nos amis et de l’arrivée de Julie Degrève (Dehuelga comme dirait
l’autre) qui elle aussi est de passage avant de partir étudier au Chili. Ces
deux jours sont aussi l’occasion pour nous de nous rendre compte de
l’insécurité qui règne dans ces grandes villes latinas. En une journée nous
sommes les témoins impuissants de deux agressions et vols à l’arrachée..
Nous profitons enfin d’un dernier diner avec nos hôtes puis
bouclons nos sacoches. Cette fois c’est parti, il est 11heures le lundi 13
Janvier et nous grimpons sur nos selles pour 5000 kilomètres en Amérique
Latine. Le temps d’embrasser une dernière fois nos potes et nous voilà lancés
dans la jungle urbaine de la périphérie de Buenos Aires.
Photo de famille avant de prendre la route |
Il nous faut parcourir
80 kilomètres d’un enchainement de villes sans intérêt, bruyantes, polluées et
encombrées, avant de croiser les premiers brins d’herbe, signes avant-coureurs
de l’entrée dans le « campo », l’arrière-pays argentin. Nous savourons notre premier pique-nique sur
cette terre nouvelle et faisons un premier état de notre pouvoir d’achat, qui
s’avère catastrophique. Le gros problème du moment en Argentine, c’est
l’inflation. On ne parle que de ça autour de nous. L’indice des prix prend 30%
par an depuis quelques temps. C’est la panique. Chacun tente de se débarrasser de
ses pesos le plus vite possible avant qu’ils ne valent plus rien et se
réfugient en achetant des devises étrangères, l’Euro en particulier. Du côté de
l’offre, voyant les coûts de production monter et les consommateurs incités à
consommer le plus vite possible, les entreprises et commerçants continuent
d’augmenter leurs prix. C’est un cercle vicieux. L’inflation entraine
l’inflation. La monnaie ne vaut plus rien et on échange aujourd’hui presque 16
pesos contre un Euro sur le marché noir. Et comme le gouvernement de Cristina
Kirchner refuse de dévaluer la monnaie, le taux de change officiel reste bloqué
artificiellement à 9 pesos contre 1 Euro. Et nous, derrière tout ça, n’ayant
pas prévu d’amener en liquide notre budget en Euro, nous sommes obligés de retirer
des Pesos au taux officiel, ce qui nous
offre 8,33 Pesos seulement pour un Euro… En conclusion, notre pouvoir d’achat
est 2 fois moins élevé que ce qu’il devrait être dans la réalité économique.
C’est la crise pour la Grande Echappée !
Allez c'est la crise mais prend toi un maté quand même |
Cette parenthèse fermée, revenons à nos lamas. C’est l’heure
de trouver un premier logement pour notre première nuit argentine. Dans la
ville de General Rodriguez, nous frappons à plusieurs portes, demandant un bout
de jardin ou planter la tente. Apres quelques échecs, nous tombons sur la
famille en or. Nous sommes accueillis chez Ignacio, Maria et leurs deux enfants
Thomas et Maïte. En réalité il y avait un troisième enfant de 1 mois mais comme
il n’était pas très loquace pour son âge, on ne se souvient plus de son prénom.
Notre nouvelle famille nous prépare des milanesas en pagaille (des escalopes
milanaises, héritage de l’immigration italienne) et une belle salade qui réunit
tout le monde à table dans la bonne humeur. Ça parle de foot, des études des
enfants, de l’Argentine, de la France. Bref chacun raconte son histoire, nous
nous passionnons les uns pour les autres le temps de ce diner puis partons nous
coucher. Juste avant, alors que les enfants dorment, Ignacio veut nous montrer
quelque chose. A la nuit tombée, Ignacio nous confesse être un « jardinier
pas comme les autres », un jardinier nocturne, qui, presque sous les yeux
de ses enfants fait pousser sans scrupule une dizaine de plants de cannabis
qu’il arrose lorsque tout le monde dort. Le matin suivant nous prenons le temps de déguster ce fameux
Maté que les argentins boivent toute la journée (le thé local qui se boit à
plusieurs avec la même paille dans une sorte de rituel).
Remake du départ à Notre Dame |
Une vendeuse offre la protection du pape à l'équipe |
Nous repartons et
découvrons le décor qui va nous suivre durant encore 900 km. Imaginez-vous
rejoignant les bords de Loire en passant par la Beauce française. Des champs à
perte de vue sur des routes gigantesques qui paraissent 2 kilomètres mais en
font 15, les champs de blé remplacés par du soja, du maïs ou quelques
tournesol, le bitume brûlant sous 38 degrés à l’ombre et pas un arbre pour se
couvrir avant 10 kilomètres, sans oublier un vent qui a eu la lumineuse idée de
se mettre face à nous. Comme dans la
Beauce, dans cette diagonale du vide argentine, il n’y a rien à voir, rien à
faire à part contempler l’immensité du vide de la région, focaliser notre
regard sur un oiseau, une sauterelle qui traverse la route (Vincent, ce
flambeur, prétend avoir vu un chacal !),
se boucher le nez au passage d’un cadavre de chien ou de vache, ou
simplement attendre que le soleil nous brûle la nuque.
Rien à l'horizon ? alors c'est le bon chemin |
Un vrai gaucho de la Pampa |
De temps en temps nous
pouvons tourner la tête en passant devant l’entrée de ces estancias, ces immenses propriétés de
plusieurs milliers d’hectares louées des fortunes à des agriculteurs. Traverser
la Beauce à vélo ça prend un ou deux jours. Là nous y somme pour 9 jours. Alors
il faut prendre notre mal en patience et chercher la beauté de la région
ailleurs que dans ce paysage lunaire. Et heureusement nous découvrons qu’elle
se trouve sans aucun doute dans le cœur de ses habitants qui rivalisent de
gentillesse et de générosité pour nous guider, nous aider ou nous accueillir.
Revenons sur ces rencontres. Le troisième jour, Côme se rend
compte qu’il a oublié sa sacoche avant (avec son passeport, cet idiot) à la
station service où nous étions le matin de l’étape. C’est la panique dans ce
petit troquet de routiers où nous mangeons quelques empanadas à mi-chemin dans
notre étape. Notre aubergiste, presque plus affolé que nous, prend son
téléphone et appelle tout un tas de numéros. C’est bon, le sac est localisé. Il nous sauve. Reste
plus qu’à faire demi-tour sur 50 km puis revenir. Là, un couple de routiers,
accessoirement témoins de Jéhovah, propose à Côme de l’emmener à bord de leur
camion. Alex et Vincent attendent à l’auberge pendant ce temps-là. Une fois le
sac récupéré, il faut encore à peine 5 minutes à faire du stop pour trouver à
nouveau un routier adorable qui ramène notre étourdi à l’auberge. Encore une fois,
quelle gentillesse, même s’il faut bien avouer que ce dernier n’avait d’autre
conversation que l’état du parc de poids lourds argentin. Alors forcément quand
tu t’y connais pas en camions, t’as un peu l’air d’un con, surtout quand tu lui
expliques que tu as laissé ton passeport dans une station service..
le vélo sans la fameuse sacoche |
40° à l'ombre... |
Passée cette frayeur, nous atterrissons, comme tous les
français de passage à Bigand, un petit village au sud de Rosario, chez
Catherine, qu’on pourrait presque appeler Cathou maintenant qu’on la connait
mieux (Catherine si tu nous lis.. J
). Catherine c’est l’incontournable et unique française du village pour tous
les français de passage, qu’ils soient de simples touristes, qu’ils fassent le
tour du monde à vélo où qu’ils soient de l’émission Pékin Express avec toute
une équipe de tournage. Peu importe, pourvu qu’on ait des choses à se raconter.
Et là Catherine d’Argentine est imbattable. Anciennement abonnée au jardin du
Luxembourg, la rue Soufflot et les balades sur les quais de Seine,
« Cath », sur un coup de tête est partie en Argentine sauver la
propriété familiale, perdue au milieu du campo. Et puis il y a eu cette
tempête, des vaches qui volaient, des troncs sciés, des grêlons comme des œufs
d’autruche, tout un tas de trucs un peu compliqués et Catherine a atteri dans
ce village dans sa petite maison pleine de charme. Nous on a la version
complète de l’histoire, si vous la voulez n’hésitez pas à vous rendre sur
place, vous trouverez forcément son éternel sourire, ses deux chats pas bien
bavards et avec un peu de chance, quelques empanadas dans le four !
Cathou nous accompagne de quelques coups de pédales |
Au moment de quitter Catherine, celle-ci nous met en garde
contre les tempêtes qui peuvent éclater fréquemment avec ces fortes chaleurs.
En effet le lendemain à l’arrivée vers Justiniano Posse nous voyons bondir sur
nous une grosse masse noire. Le vent se lève, soulève la poussière, nous balaie
le visage et réduit notre vitesse à son minimum. Les écorces des eucalyptus qui
bordent la route s’arrachent et nous tombent dessus. La vision diminue et la
pluie commence à s’abattre. D’abord doucement, par grosses gouttes qui nous
fouettent la peau brulée par les coups de soleil, puis à torrent, rendant la
visibilité très faible. Alex et Vincent, 200 metres devant Côme, prennent à
droite, Côme à gauche dans le village. Les premiers se réfugient assez vite
sous un abri. Côme de son côté erre dans ce village fantôme transformé en
petite Venise en à peine 10 minutes. Arrivé à hauteur d’un petit supermarché,
les employées le recueillent et le traitent comme s’il avait frôlé la mort. On
publie sur le facebook de la ville, on appelle les flics, les pompiers, tout le
monde se met à la recherche des deux cyclistes manquants.. Côme, lui, ne
comprend pas trop pourquoi on s’agite autant, d’autant que les deux arrivent
une demi-heure plus tard, comme des fleurs, trempés jusqu’aux os et la moitié
des roues sous l’eau ! Les caissières nous embrassent, nous offrent une
réduction sur les courses et l’aventure se termine sur le parking d’une station-service
à dormir au pied d’un camion citerne ! Pour la douche, Vincent remplit
trois bouteille d’eau, disparait dans un coin, et hop, il est propre ! Toujours
aussi glamour cette aventure décidément.
Nous passons également devant un groupe de joueurs de Bochas
( la pétanque locale : cf nouvel article dans l’onglet sport) qui se
réunissent tous les soirs pour enquiller des bières et parier des parties.
Chacun nous raconte sa vie, ils nous sortent une bière fraîche. Ils parlent,
ils parlent, à n’en plus finir.
-Vous voyez lui, c’est le meilleur maçon que j’ai
connu ! il a 80 ans il est plus très cuit, mais il a construit lui-même 60
maisons ! Vous imaginez ??? Alex est pris de passion pour ces petits vieux qui lui font
penser à des joueurs de pétanque des petits villages des bouches du Rhône, ceux
des films de Pagnol !
Chaque arrêt se solde par une rencontre nouvelle. Deux
italiens d’origine nous accompagnent à vélo sur 20 km pour nous protéger du
vent, une famille nous prend par la main en disant les grâces, implorant Dieu
pour qu’il nous trace une route sans encombre. C’est en permanence une
surenchère d’affections en tout genre. De quoi nous consoler des heures
torrides passées dans les champs.
Nos protecteurs du jour |
Puis le 8ème jour nous arrivons
enfin dans la sierra de la Calamuchita (Allez savoir pourquoi), une petite
chaine de montagnes verdoyantes où nous découvrons enfin de nouveaux paysages.
Nous abordons la zone par une première nuit sur la berge d’un lac de barrage à
Almafuerte où nous nous endormons au son des tubes argentins chantés plus loin
dans les bars de la plage. Nous traversons ensuite la petite chaine de
montagnes en une étape de 90 kilomètres qui nous mène pour le déjeuner à
General Belgrano, un petit village perché à 800 mètres qui regroupe
essentiellement des émigrés allemands. Alors forcément on y fait soi-même sa
bière, le village possède sa fabrique, c’est toute une religion ici.
Nous
pique-niquons au bord d’un petit ruisseau d’eau clair et froide, de quoi nous
rafraichir car il fait toujours aussi chaud ici. Nous repartons ensuite jusqu’à
Alta Gracia par une route splendide qui grimpe puis redescend dans les
montagnes surplombant un immense lac éclairé par les derniers rayons de
soleils. La route est sinueuse et la beauté du paysage nous fait oublier
qu’elle monte. Enfin l’Argentine nous offre ce qu’elle a de plus beau. Il était
temps. Alex tente même une comparaison avec une scène du Hobbit, lorsque toute
la troupe des nains sort de la montagne et voit face à lui une profonde vallée
et le royaume des Elfes ! Osée mais bien trouvée, diront les autres !
Arrivés à Alta Gracia à la tombée de la nuit, nous plantons
le camp au bord d’une rivière d’eau cristalline dans un décor bucolique au
possible. Nous nous baignons, prenons une bonne douche dans la rivière,
concoctons un délicieux plat de pâtes et nous endormons au son du ruissèlement
de l’eau, et des moustiques, soyons francs..
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Ici à Alta Gracia nous prenons
enfin notre premier jour de repos en Argentine après 9 jours et 800 kilomètres.
Nous sommes en particulier dans la ville natale du Che, et sur la route de son
voyage initiatique retracé dans le film Carnets de Voyage. Nous sommes
également sur la route du Dakar, qui est passé dans le coin il y a quelques
jours. Alors à choisir entre
les camions suréquipés et polluants, arborant sur leurs flancs les logos de
quelques grosses multinationales, symbole assez fort d’un capitalisme éclatant,
et le cheminement d’un révolutionnaire communiste à la conquête d’un continent,
disons que nous avons un peu le cul entre deux chaises !
Peu importe après tout, cette année ce sera notre route, celle
de La Grande Echappée.