Nous quittons cette charmante bourgade de Mocimboa da
Praia au petit matin. Notre programme pour les prochains jours est assez simple
et s’annonce fort agréable. Notre objectif est de rejoindre, en deux jours, la
ville de Quissanga point de départ de bateaux rejoignant l’archipel
paradisiaque de Quirimbas pour un repos bien mérité. Au petit matin nous nous préparons
pour une étape de 90 km de piste, une grosse journée en perspective mais rien d’insurmontable
pour nos petites gambettes de super pédaleurs. La suite nous prouvera le
contraire… Nous l’ignorons encore quand
nos petits yeux naïfs s’ouvrent sur
l’aube mozambicaine mais nous nous apprêtons à vivre une journée
cauchemardesque que nous qualifierons après coup de « pire journée de
merde de tous les temps ». De 6h du
matin à 4h la nuit suivante nous connaissons un tel enchainement de poisses que
nous pouvons faire passer le mec du film la chèvre pour un rigolo de service.
22h d’efforts continus pour parcourir 60 malheureux kilomètres (soit une
vitesse de 3km/h pour les matheux). Impossible me dites vous ? Nous
l’avons testé pour vous. Mais bon en même temps fallait bien qu’on arrête de
vous raconter que des histoires de plages sinon on n’aurait pas été crédibles
en revenant ! Allez maintenant que vous en avez l’eau à la bouche on vous
raconte.
On dort dans des ecoles pour taffer notre portugais |
Il est 7h du matin lorsque nous lançons notre premier coup de pédale.
De prime abord rien d’anormal, la piste est un peu moisie comme d’hab. Après 5
premiers kilomètres parcourus bon train nous faisons face à la première
difficulté de la journée. La piste se transforme petit à petit en une espèce de
grosse plage, la mer en moins. Et franchement une plage sans mer mais avec des
vélos c’est moyen fun. Nous nous embourbons sévère. Tous les cent mètres nous
dérapons dangereusement avant de nous échouer lamentablement sur de grosses mottes
de sables qui nous obligent à descendre pour pousser nos molosses. Le nombre de
tronçons « roulables » se réduit de kilomètres en kilomètres au point
qu’après une vingtaine de bornes parcourus en 2h nous constatons la terrible
réalité « ouais bah la on avance plus du tout ». Il nous faut pousser
sur les 20 derniers kilomètres qui nous séparent du village dans lequel nous
pensons déjeuner. A partir de 10h au Mozambique, il fait chaud. Nous suons donc
à grosse gouttes les pieds dans le sable, les mains cramponnées au guidon en
trainant nos gros vélos. Signe que la journée s’annonce mal Vincent sort pour
la première fois sa casqu-bob fusion audacieuse d’une casquette et d’un bob. Y’a
des jours comme ça où tout fout le camp. Nous avançons comme des escargots
maudissant tout à la fois : le Mozambique, le sable, nos vélos mais
surtout l’éditeur de notre carte routière qui a eu le culot d’appeler cette
route une « route importante de connexion ». Nous ne voyons en effet pas
très bien ce que cet endroit a à voir avec une route ni en quoi elle pourrait
bien être importante. Notre moral s’approche tranquillement du zéro absolu et
seule la perspective de la pause déjeuner nous évite d’appeler nos mamans pour
demander un rapatriement express. A 13h nous atteignons le village de Marere.
En 6h nous avons parcourus 42km. Alex trouve malin de souligner
que « même les moins bons courent le marathon plus vite que
ça ». A Marere c’est pas la fête non plus. Le bled est minuscule, pas
d’eau à vendre, pas de nourriture… Une mama accepte finalement de nous préparer
un plat de riz blanc sur lequel nous nous jetons voracement. C’est pas fou, ça
a le goût de terre mais ça cale. La
pause est de courte durée, nous devons repartir vite pour atteindre le village
de Quiterajo pour la nuit situé à une vingtaine de kilométres de là. Au moment
de monter sur nos vélos les villageois nous l’assurent, la route s’améliore
juste après la traversée du fleuve Messalo à 5km de Marere.
« Nous : Ah oui le fleuve, il est où le pont
d’ailleurs ?
Eux : Quel pont ?
Nous : Bah celui pour traverser le fleuve pardi
Eux : Ha ha mais y’en a pas ! (sourire attendri face à notre naïveté)
Nous : Ah… et du coup on fait comment ?
Eux : A marée basse il est un peu moins gros, faut
porter les vélos. Mais attention aux crocos !
Nous : Ha ha, allez les gars arretez de déconner… (rire jaune) »
Nous partons donc vers le fleuve rapidos car nous comprenons
que ça ne va pas être une partie de rigolade cette histoire. Les 7 km jusqu’à
la berge du fleuve nous font traverser un décor totalement sauvage. Nous
évoluons au milieu de la brousse, partout des plantes viennent nous caresser
les jambes. On entend des bruits un peu louches à droite à gauche. Arrivés sur
les rives du fleuve, on commence à flipper. Face à nous un beau bébé de 100m de
large nous barre la route. Impossible à traverser, encore moins avec des vélos.
De très loin nous apercevons un mozambicain, nous crions comme des ânes pour le
faire venir. « Vas-y enlève ton t-shirt il va voir qu’on est blanc, il
viendra ! ». Effectivement cela fonctionne. Nous découvrons que notre
nouveau pote à une barque riquiqui et que moyennant une modique somme il peut
faire traverser tout le monde vélos compris. Ce qu’il y a de pratique en
Afrique c’est que tout est toujours possible. Notre passeur a la soixantaine
bien tassée et il manœuvre un minuscule trimaran de bois à l’aide d’une grande
tige de bambou qui lui permet de défier le courant. Nous voyons, l’œil
inquiet, partir nos vélos un à un sur
cette embarcation branlante. Puis vient le tour des hommes. Côme s’élance le
premier, après quelques métres le bateau tangue et se renverse. Bonne tranche
de rigolade pour Alex et Vincent
Titanic in Africa |
. Une fois sur l’autre rive nous soufflons, le
plus dur est fait le fleuve est derrière nous. Plus que 10 bornes, la nuit
tombe dans 1h30 mais ça devrait le faire. Naïfs que nous sommes ! Après 2
km la route plonge à nouveau dans un fleuve de la même envergure. Nous
enrageons « putain mais il est même pas indiqué sur la carte
celui-là ». Nous pédalons dans un dédale de pistes pour trouver un moyen
de l’aborder… en vain. Nous commençons à être carrément paumés sur ces chemins
qui se ressemblent tous. Et c’est à ce moment que la nuit décide de pointer le
bout de son nez. Nous n’avons rien à manger, pas grand-chose à boire et surtout
nous ne savons pas où et quand la marée sera la plus favorable pour attaquer la
traversée du fleuve. C’est fou le phénomène de marée tout de même ! Pour
couronner le tout Vincent nous concocte une crevaison surprise dont lui seul a
le secret. Il faut bien dire qu’à ce
moment on ne fait plus trop les marioles. Nous rebroussons chemin après une
réparation au clair de lune pour trouver un lieu où dormir. Après quelques
errements nous apercevons la lueur d’un feu. Une cabane seule au milieu de
rien. Une famille habite là dans la plus grande simplicité. Nous commençons à
être bien fatigués et nous essayons de faire comprendre nos soucis dans un
portugais approximatif. Nous apprenons que le fleuve ne se traverse qu’à marée
super basse. C’est-à-dire la nuit lorsque la lune atteint un certain niveau
dans sa course. Nous essayons de savoir une heure précise pour la traversée
mais nous comprenons vite qu’ici la notion occidentale d’heure ne compte pas.
Retour au basique, la lune et le soleil rythme la vie pour cette famille. Le père
de famille accepte de nous accompagner pour la traversée du fleuve. En
attendant il faut « esperar un poco ». Ici attendre un peu dure
généralement entre 5min et plusieurs heures. Nous voilà donc tous les trois
allongés sur une paillasse au milieu de rien à guetter fébrilement la montée de
la lune dans le ciel. La mama nous apporte gentiment un peu de riz et de
manioc. On doit avoir l’air bien perdu car c’est la première fois que l’on nous
propose de la nourriture spontanément. Aux alentours de Lune-au-zénith moins le
quart le chef nous secoue. Il faut y aller.
Il est 23h le moral est pas folichon |
Nous parcourons quelques kilomètres
et retrouvons le chemin qui mène au fleuve. Effectivement ce dernier s’est
retiré en partie et laisse entrevoir un marécage boueux peuplé de moustiques.
Nous commençons la traversée du fleuve chargés de bagages. A mi-chemin Alex
glisse à Vincent : « tu vois quand je t’ai rencontré à l’ESCP je ne
pensais pas me retrouver avec toi en pleine nuit en caleçon au milieu d’un
fleuve du Mozambique accompagné par deux mecs avec des machettes ». Comme
quoi la vie est pleine de surprise. La surprise c’est aussi la difficulté du
chemin que nous devons parcourir. Il faut porter, pousser, tirer notre
équipement dans la boue dans un immense marais. 2h nous seront finalement
nécessaire pour venir à bout de l’obstacle. Une évidence : tous seuls nous
n’y serions jamais arrivés. Il est 1h du matin lorsque nos guides nous quittent
en nous indiquant approximativement la route à suivre jusqu’a Quitarajo .
Traversée de marecage number oner |
Il
reste 8 bornes et franchement on en a plein les sandales de cette journée. Le
chemin vers la ville nous replonge petit à petit dans un nouveau marécage
dégueulasse puis disparait complétement. Nous avançons péniblement car nos
vélos se remplissent d’une épaisse couche de boue qui bloque nos roues
(évidemment des garde-boues c’est fait pour retenir la boue finalement….). Nous
pataugeons et glissons sur le sol mais nos vélos font du surplace.
La on croit qu'on est sauvé mais en fait non |
Au bout d’un
moment nous réalisons que nous sommes bel et bien perdus. A y regarder de plus
près la situation n’est pas fameuse. Nous sommes perdus au milieu d’un marécage
au Mozambique et nous savons que nous ne pouvons pas trouver un endroit où
dormir car la marée finira bien par remonter. Il nous faut donc absolument
retrouver le chemin pour le village. A 2h30 du matin Vincent annonce d’un ton
lugubre « les gars, le gps est tombé quelque part dans la boue ».
Commence alors une longue et déprimante séance de recherche à la frontale. Nous
errons donc, couverts de boue, à la recherche de l’engin qui nous permettait au
moins de maintenir un cap à défaut de trouver sur le vrai chemin. A ce
moment-là, il faut bien avouer que nous n’en menons pas large. C’est un de ces
moments où l’on se dit que la situation commence à être un peu préoccupante
voire flippante, voire critique. Après une longue recherche Alex crie victoire
(façon de parler en vrai il a pas dit ça). Il est là l’animal. Nous pouvons
donc recommencer à être perdus en toute sérénité. Le stress monte à mesure que
nous avançons. Les paroles se font plus rares mais de manière plutôt rassurante
nous sommes tous les trois calmes. Dans le fond nous sommes bien contents de ne
pas être tous seuls dans cette galère.
Il est 3h passée lorsque Come débusque un semblant de
chemin nous permettant de sortir du marécage. Nous émergeons finalement sur un
chemin sablonneux qui semble mener droit à la ville. Quel bonheur de pousser
son vélo dans des mottes de sables plutôt que dans la boue ! Il est quatre
heures du matin lorsque nous arrivons hébétés au village de Quitarajo. Nous
essayons de redérouler le fil de la
journée pour voir où ça a merdé et nous concluons que ça n’a jamais été bien
rose. Avouons-le, nous n’avons jamais été aussi heureux de retrouver notre
chemin. Nous nous écroulons sous un préau avant de voir débouler le maire de la
ville accompagné de deux potes accompagnés de deux gros fusils qui vient faire
une petite visite aux trois tas de boues qui viennent de débarquer chez lui.
Après ce petit contrôle de passeport ils nous lâchent la grappe et nous nous
endormons d’un sommeil lourd peuplé de marécages cauchemardesques sans issue.
Nous nous réveillons
avec le soleil 3h plus tard et le décor autour est bien celui d’une armée en
débâcle. Nous nous rappelons péniblement la bérézina de la veille. Nous sommes
sales comme des poux, nos vélos sont noyés sous la boue et nos fringues puent
le marécage. Le manque de sommeil et la fatigue accumulée la veille nous
rappellent nos lendemains de fiesta en France et en ce dimanche matin nous ne
pouvons qu’avoir une pensée émue pour nos amis qui se réveillent peut être eux
aussi avec un mal de crâne. Nous décidons de prendre une journée de repos (de
toute façon on aurait été incapable de grimper sur nos vélos) et nous nous
laissons prendre en main par les habitants de Quitarajo qui nous bichonnent et
nous aident à remettre nos vélos en état.
En Afrique une intimité de tous les instants |
Nous prévoyons d’attraper le bus
local de 4h du matin le lendemain pour nous éloigner au plus vite des pistes du
coin qui nous filent des boutons. En attendant nous passons la journée à ne
rien faire et à panser nos plaies de la veille. Nous enchainons les siestes que
nous entrecoupons de bonnes bouteilles de Oasis Cola, le coca cola mozambicain,
saveur de l’année 2013 de notre voyage. Notre seule activité de la journée est
de descendre au village négocier avec le chauffeur de bus notre trajet du
lendemain. Nous partons sereins. Trois jeunes et brillants étudiants de
buziness-school-of-management rompus à l’art de la négociation ne feront qu’une
bouchée de ce pauvre chauffeur mozambicain. En réalité le bougre nous mate à
plate couture et nous payons à peu près trois fois le prix normal.
Y a moyen qu'on rentre meme avec nos sandales |
A 4h du mat le
lendemain (décidement ces derniers temps on ne dort pas beaucoup) nous quittons
Quiterajo avec plaisir direction la ville de Macomia qui nous permet de
retrouver des routes à peu près roulables afin d’atteindre Quissanga (mais si mais
si souvenez-vous c’est de là qu’on prend le bateau pour les îles
paradisiaques). Les bus mozambicains s’appellent des chapas et sont en fait des
camions sur lesquels on met tout et n’importe quoi. Nous passons donc le trajet
serrés comme des sardines entre des gens, des poules, des bacs de poissons et
des vélos. La piste toute défoncée nous fait faire des bonds de kangourou.
Presque de quoi nous faire regretter un bonne grève de rer B ça ! Le
paysage est superbe et nous éprouvons un certain plaisir à voir défiler les
kilomètres sans efforts. Franchement le vélo ça va à deux à l’heure ! A 7h
nous voilà à Macomia et il nous faut remonter sur nos bicyclettes direction
Quissanga. Le début de la route est asphalté et ça ça donne le sourire. Nous
nous prenons à rêver d’un monde intégralement bétonné où nos roues pourraient
s’ébattre gaiement pour l’éternité. La piste suivante est elle aussi de bonne
qualité et nous permet de parcourir les 90 km menant à Quissanga dans la
journée. Enfin nous y voilà ! Cela fait trois jours
que nous fantasmons sur cette ville sensée nous emmener vers notre île de rêve.
Dans notre auberge nous faisons la connaissance d’Oscar un cyclotouriste
espagnol parcourant une bonne partie de l’Afrique à vélo : de Cape Town à
Addis Abeba. Nous passons la soirée à parler état des routes, taille de pneu et
dérailleur. Bé ouais qu’est-ce que tu veux on devient des pros !
Embarcadere pour l'archipel de Quirimbas |
Dès le lever du
soleil nous nous pressons vers l’embarcadère pour l’île d’Ibo, perdue dans
l’archipel de Quirimbas. A 7h nous sommes au garde à vous devant le bateau pour
un départ prévu dans la foulée. Mais décidément
nous apprenons lentement à connaitre l’Afrique. Notre bateau (un équivalent
nautique du chapa) ne partira que lorsqu’il sera plein à craquer de poules,
chaines hi-fi, ventilateur et autres bricoles. Nous passons donc la journée à
atteindre au bord de la mer, accumulant encore sieste sur sieste histoire de
combler un certain manque de sommeil.
Traversee pour l'ile d'Ibo |
Quelques heures plus tard nous sommes sur
les flots, bercés tranquillement par le roulis des vagues et le cocotements des
poules. Le capitaine maintient fièrement le cap dans la houle et nous voyons
grandir au loin une masse verdoyante. Terre ! Terre ! l’ile d’Ibo se
dresse devant nous. Un magnifique tas de terre recouvert de mangroves laissant
apercevoir ça et la de belles plages de sable fin et où des arbres barbotent
dans la mer tranquillement à marée haute.
La ville d’Ibo est une petite
bourgade toute mignonne à l’architecture héritée de la colonisation portugaise.
Ici tout le monde se connait et il ne nous faut pas plus de 5 minutes pour
apprendre qu’ici vit Stéphane un français, ancien cuistot, qui tient un lodge
et fait de la cuisine bien de chez nous. Nos papilles sont en ébullition et ni
une ni deux nous y prévoyons d’y filer pour le diner. Crabe, pomme de terre
sauté et ratatouille nous remettent d’aplomb. A Ibo nous renouons également
avec la vie touristique. Nous croisons beaucoup de blancs qui nous racontent
leur périple mozambicain. La journée suivante ressemble à un vrai dimanche nous
trainassons au lit, puis devant la télé de notre guest house (où nous regardons
un épisode de Scooby-doo avec toute la famille mozambicaine), puis au bord de
la mer pour le coucher de soleil. C’est pas mal de ne rien faire aussi des
fois…
BG number one |
BG number two |
Come et Alex ont bien bronzé |
Come braconne dans un parc naturel, peche interdite |